Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
grâce à la lettre de change que tu
m’as envoyée, j’ai versé à Paolo de Negri les 12 000 ducats
correspondant à la dette que vous aviez envers lui et Ludovigo Centurione.
Ils me chargent de t’en remercier et tiennent à t’assurer
qu’ils n’ont jamais douté de ta bonne foi et de celle de ton associé.
Cela met fin aux inquiétudes qu’ils avaient éprouvées
devant les curieuses déclarations de ton commis qui osait prétendre qu’il
n’avait eu à sa disposition que 1 000 ducats. Tout me porte à croire que
ce fripon a cherché à dissimuler qu’il s’était servi de ton nom et du nom de
mes clients pour se livrer à des transactions illégales et empocher de la sorte
un copieux bénéfice.
Le devinant, j’avais demandé à un juge de mes amis de le
décréter d’arrestation. Mais ce coquin a quitté notre ville avant que ce digne
magistrat, retardé par une affaire de la plus haute importance, ne puisse le faire
conduire en prison pour y répondre de ses manœuvres.
Sa fuite a provoqué un vif étonnement, d’autant qu’il
était favorablement connu de la plupart des négociants locaux depuis qu’il
avait été employé par Federigo et Filippo Centurione qui l’avaient envoyé au
Portugal pour s’occuper de leurs affaires et qui sont, depuis, sans nouvelles
de lui.
Je demeure ton fidèle serviteur,
Giovanni de Felice.
*
Le 18 Tishri 5740
D’Eleazar Latam à José Vizinho
Il me tardait de t’apprendre l’heureuse issue d’une
affaire conduite à ma manière.
Grâce à une ruse qui ne m’a rien coûté, si ce n’est
quelques nuits de sommeil et la peur de perdre mon crédit auprès de certains
marchands génois, j’ai eu confirmation que mon commis, dont la conduite avait
éveillé tes soupçons, est un fieffé menteur et nous a trompés sur les raisons
de sa présence ici.
Nous savions qu’il n’avait pas fait naufrage, comme il le
prétendait, au large de Lagos. Il est désormais avéré qu’il était alors, et
qu’il reste peut-être aujourd’hui, au service des Centurione qui cherchent par
tous les moyens à connaître les secrets de notre commerce avec la Guinée.
Le tour que je lui ai joué lui a fait perdre tout crédit
auprès de ses compatriotes et lui interdit de reparaître à Gênes.
Sans le savoir, il est plus que jamais un instrument
docile dans nos mains que nous pourrons utiliser pour la réalisation de
certains de nos projets.
Il me paraît nécessaire de réunir tes amis pour discuter
de ces questions et de la conduite à tenir.
J’ai donné ordre au Génois de revenir à Lisbonne où je
compte bien lui faire comprendre qu’il devra scrupuleusement m’obéir s’il veut
conserver ma confiance.
Je te l’ai dit, il est d’une grande naïveté sur certains
points mais ne manque pas fort heureusement de talents qui nous seront très
utiles.
Eleazar Latam.
5
Le pas d’armes de la fontaine
La plaine était couverte de tentes de brocart aux couleurs
chatoyantes, arborant fièrement les bannières des chevaliers qui y avaient
établi leur logis. Ils étaient venus par dizaines de l’Alentejo et de l’Algarve
pour participer au pas d’armes donné en l’honneur de l’avènement de Dom
Joao II. Le thème en était la conquête par Leliadus de Leonmoys, assisté
du roi Arthur, de Palamède et de Galliot du Pré, de la Fontaine de la Dame inconnue.
C’était un récit dû à un certain Rustichelli de Pise qui s’inspirait du cycle
des légendes de la Table ronde que la défunte reine Felippa de Lancastre avait
fait connaître aux nobles portugais.
L’annonce de la tenue de ce pas d’armes avait suscité une
véritable fièvre dans tous les châteaux. Elle sonnait le glas du morne ennui
qui s’était abattu sur le pays depuis que le roi Afonso V s’était enfermé
dans son palais de Sintra. Inconsolable à l’idée de n’avoir pu partir en
croisade délivrer le Tombeau du Christ, il avait banni toutes réjouissances de
ses domaines. À Sintra, rire était un crime et il en allait de même à Lisbonne,
où le prince héritier faisait mine de se conformer à la noire mélancolie de son
Père. Autour de lui, les courtisans arboraient des mines tristes et compassées,
sursautant au moindre bruit. Ces faux dévots tremblaient à l’idée d’être
surpris en train de rire ou de s’esbaudir. Depuis des années, aucune fête
n’avait été célébrée et les chevaliers, s’ils voulaient participer à un
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