Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
tournoi,
n’avaient d’autre choix que de se rendre en Castille où l’on se moquait d’eux.
La mort du roi avait marqué le début d’une ère nouvelle. La
foule avait laissé éclater sa joie, allumant de grands feux et dansant autour
en acclamant son nouveau souverain. Joao II avait chassé de son palais les
moines et les prêtres ainsi que la cohorte des faux dévots, priés de se retirer
sur leurs terres. Jongleurs, poètes et musiciens avaient fait leur
réapparition.
Quand Joao avait fait savoir que les fêtes de son couronnement
se termineraient par un pas d’armes, la noblesse avait exulté. Chaque grande
maison avait intrigué pour que ses champions fussent admis à concourir. Il en
avait été de même des ordres militaires religieux, qui avaient fait valoir
leurs prérogatives pour que les hérauts du pas d’armes soient choisis parmi
leurs membres. En quelques semaines, Lisbonne était sortie de sa torpeur.
Tailleurs, forgerons, drapiers, orfèvres, tanneurs, cordonniers, tous les corps
de métiers avaient leur rôle à jouer dans la préparation de la fête. Ils
n’étaient pas les seuls. Tolède et Cordoue avaient dépêché sur place leurs plus
habiles artisans. Épées, haches, boucliers, fléaux, lances, heaumes, casques,
armures, robes d’apparat pour les chevaux, pourpoints et poulaines, le moindre
chevalier s’imaginait qu’il lui fallait s’équiper de pied en cap.
Une farouche compétition semblait opposer les gens de la
maison du duc de Bragance à ceux du duc de Viseu et ils sortaient parfois
l’épée quand ils se retrouvaient en même temps chez un artisan dont ils
voulaient s’assurer les services. La boutique se transformait en champ de
bataille et plus d’un combattant en sortait blessé, furieux à l’idée qu’il
devrait rester alité lors du pas d’armes en raison de la gravité de ses
blessures. Quant aux palefreniers et valets d’armes, équipés de neuf par leurs
maîtres, ils n’étaient pas les derniers à échanger des horions dans les
tavernes, fiers de pouvoir montrer qu’ils épousaient les querelles de leurs
seigneurs.
En prévision de cette fête, Eleazar Latam avait rappelé
Cristovao de Porto Santo. Il avait besoin de son commis pour s’assurer que les
marchands recevraient à temps les brocarts et les velours de Flandre, les
fourrures venues du Nord lointain, en un mot tout ce qui pouvait être vendu à bon
compte. Le commis n’avait eu d’autre choix que de s’incliner. Il s’était
embarqué en compagnie de son épouse et de leur jeune fils, Diego. Pour rien au
monde, il n’aurait accepté d’être séparé de celui-ci. Il passait de longues
heures, prises sur son sommeil, à contempler le bébé dans son berceau.
Seul inconvénient, il avait dû accepter la présence de sa
belle-mère, Dona Isabel Perestrello y Moniz. Elle avait décrété que sa venue à
Lisbonne était indispensable pour faire valoir auprès du nouveau monarque les
droits de son fils, capitaine-donataire de Porto Santo, qu’elle jugeait digne
d’occuper de plus nobles fonctions. En fait, elle n’espérait qu’une
chose : qu’on rachetât à Bartolomeo cette charge insignifiante pour lui
confier celle de gouverneur d’une cité de l’Algarve. Elle se faisait fort
d’obtenir l’appui de ses lointains parents, auprès desquels elle passait de
longs moments à exposer ses prétentions acrimonieuses. N’était-elle pas une
Moniz ?
Cristovao savait qu’elle ne mentionnait jamais ses filles et
leur fâcheuse mésalliance. Il tolérait cette vieille pie, au visage flétri par
l’âge, car, sans le savoir, elle lui fournissait de précieux renseignements.
Toujours à l’affût du moindre ragot, elle lui faisait l’aumône de ce qu’elle
entendait dans les couloirs du château Saint-Georges sur les exigences ou
extravagances des barons et de leurs épouses. De la sorte, il pouvait devancer
leurs désirs et satisfaire les uns sans désobliger les autres.
Il avait ainsi vendu un lot de mauvaise serge verte à l’intendant
du duc de Viseu en lui affirmant que le duc de Bragance l’avait réservé pour sa
domesticité. Après quoi, il avait fait mine de refuser à l’intendant de
Bragance de lui céder une toile bleue de moindre qualité au motif que son rival
entendait en vêtir ses gens. C’était, avait-il affirmé, la couleur préférée de
la maîtresse du roi et celle-ci serait ravie de voir un grand seigneur lui
rendre ainsi un discret hommage
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