Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
consacrée à la minutieuse exécution des
différents épisodes du pas d’armes. Les deux partis, celui des Viseu et celui
des Bragance, rivalisèrent d’habileté et d’héroïsme. De nombreuses lances
furent rompues et plus d’un chevalier mordit la poussière et dut jeter son
gantelet de fer pour signifier qu’il s’en remettait à la merci de son
vainqueur. Les deux frères de Juliao se montrèrent particulièrement chanceux. Ils
s’emparèrent de plusieurs prisonniers qui rachetèrent symboliquement leur
liberté en prenant à leur charge les frais qu’ils avaient engagés pour tenir
leur rang. Grande fut leur joie quand Dom Joao les fit appeler pour les
féliciter de leur bravoure et leur remettre une bourse remplie de pièces d’or.
Le soir, Cristovao et Juliao se retrouvèrent et reprirent
leur entretien là où ils l’avaient laissé. C’était chez eux une habitude. Ils
se voyaient tous les jours ou presque à Lisbonne et aimaient à confronter leurs
idées, exagérant parfois leurs désaccords à seule fin de pouvoir prolonger
leurs discussions. Cette fois, ce fut au Génois de rompre, comme il l’affirma
en riant, la première lance :
— Je t’ai dit que ces chevaliers appartenaient au
passé. Cela n’enlève rien à leur vaillance. Ils se sont bien battus et piaffent
d’en découdre avec de futurs ennemis. Ce pourrait être les Castillans, qui
rêvent de s’emparer de ce royaume. Il serait fort dommage pourtant de voir des
princes chrétiens s’affronter alors qu’une tâche plus noble les attend, celle
de reprendre aux Maures Grenade, la dernière ville qu’ils tiennent dans la
péninsule.
— À quoi bon en chasser les Maures puisque nous les
tolérons ici parmi nous. Tu en sais quelque chose, toi qui, m’a-t-on dit, as vécu
dans la Mouraria. Pourquoi aiderions-nous la Castille à prendre Grenade alors
que les Maures nous protègent de la reine Isabelle ?
— Que veux-tu dire par là ?
— Elle ne peut mener deux guerres à la fois et est
contrainte d’immobiliser une partie de ses troupes par crainte que cela ne se
produise. Grenade nous doit de ne pas être encore tombée, et nous savons que si
cette ville était prise la reine serait en mesure de nous attaquer.
— Veux-tu dire par là que ces chevaliers seraient
utilement employés s’ils se battaient aux côtés des Maures ?
— Je ne le souhaite pas mais je constate qu’il en est
ainsi.
Cristovao hocha la tête. Il sentait comme une pointe de
regret ou d’amertume dans la voix de son ami. Il décida de pousser son
avantage :
— S’il est bien une chose que je ne m’explique pas,
c’est pourquoi les princes chrétiens ne se liguent pas ensemble pour
reconquérir le Tombeau du Christ. Cela avait été le rêve du défunt roi
Afonso V, qui avait même abdiqué pour partir en Terre sainte mais avait dû
renoncer à ce projet et en était resté inconsolable. Or c’est précisément ce
rêve que nous enterrons ici aujourd’hui. Cette fête est un peu comme un office
funèbre.
— Quel qu’il soit, baron ou manant, il méritera bien
d’être appelé noble et chevalier de la foi, celui qui réunira les richesses
suffisantes pour financer la croisade. Car ce rêve nécessite des sommes
colossales dont aucun prince chrétien ne dispose aujourd’hui. Telle est la
réalité. Crois-moi, Cristovao, il n’y aura pas de titres assez grands pour récompenser
celui qui trouvera l’or dont nous avons tant besoin pour délivrer le Tombeau de
Notre-Seigneur. Ce n’est pas à cela que songent mes frères. C’est la raison
pour laquelle ils appartiennent au passé. Non, crois-moi, les chevaliers de
demain, ce sont ceux dont l’humble labeur nous permettra de réunir pareille
somme.
— C’est chose impossible !
— Aurais-tu oublié Cypango et ses richesses dont tu
rebats les oreilles de tes amis ? C’est ce que m’ont écrit deux d’entre
eux, Joao de Coïmbra et Antonio Pereira, qui furent mes condisciples à
l’université.
— Je vois que tu es bien informé. Mais c’est un rêve
insensé.
— Pourquoi ?
— Cypango est située au-delà des terres du Grand
Seigneur. Il faudrait des mois, que dis-je, des années pour y parvenir et en
revenir !
— C’est ce que disent les savants qui ignorent tout de
la mer Océane. Ont-ils raison ? C’est une autre question.
Leur discussion fut interrompue par l’arrivée des deux
frères de Juliao. Grisés par le vin, ils fanfaronnaient
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