Chronique de mon erreur judiciaire
qui, dans ses réquisitions, va demander au tribunal de recevoir mon serment. Ce même procureur qui, devant le juge des libertés et des détentions, avait réclamé mon incarcération ! Ce même homme, avocat général à la cour d’assises de Saint-Omer, qui a requis à mon encontre une peine de dix-huit mois avec sursis « pour actes inconvenants » envers mon propre fils. C’est « son » parquet qui, aujourd’hui, fait ses réquisitions pour Alain Marécaux.
Mais il n’est pas présent, Gérald Lesigne, en ce beau jour ensoleillé qui m’accueille dans cette salle d’audience où je suis si ému que j’en ai les jambes coupées. Tout le monde comprend qu’il ait trouvé judicieux de se faire remplacer… Dommage, j’aurais aimé entendre à nouveau son timbre monocorde articuler les mots de compassion que la présidente du tribunal a prononcés à mon intention.
En robe noire, sous les yeux de mon père, de mes sœurs, de ma marraine et de mes fils, je prononce la formule qui fait de moi à nouveau un officier ministériel : « Je jure de loyalement remplir mes fonctions avec exactitude et probité, et d’observer en tout les devoirs qu’elles m’imposent. » Dans les minutes qui suivent, je m’arrête sur certains regards, les mêmes que ceux qui assistèrent à ma déchéance. En ce jour solennel, je redeviens l’un des leurs.
Et la famille Marécaux peut redresser la tête, lessiver cet opprobre dont elle a tant souffert, quand mon nom faisait les gros titres des journaux. Il faut pouvoir sortir dans la rue, entrer dans un magasin, ou, pire, faire la classe – car j’appartiens à une famille d’enseignants –, lorsque vous êtes le père, la sœur, le neveu de « l’huissier pédophile qui faisait payer des dettes en utilisant les enfants…»
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Une nuée de journalistes m’escorte aujourd’hui pour couvrir cet événement peu banal : un huissier qui fut envoyé en prison par un tribunal devant lequel il redevient huissier six ans plus tard. Une phrase circule en boucle dans ma tête : la roue tourne… À mes yeux, cette roue me ramène à l’endroit d’où je viens, à cette place que je n’aurais jamais dû quitter.
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Suis-je le même huissier de justice qu’avant Outreau ? Sur le fond, je suis resté le même homme de loi atypique, bizarrement allergique au costume cravate. Je ne suis pas devenu, comme on pourrait le penser, un huissier infiniment plus humain que je l’étais déjà avant d’avoir subi personnellement l’une des pires descentes aux enfers sociales que l’on puisse imaginer.
Quand je vais chez les gens, je m’y rends seul, sans policier ni serrurier. Je frappe à la porte. Si personne ne répond, je laisse un avis de passage, assorti de mon numéro de téléphone. Et ce petit mot : recontactez-moi. Puis je repasse une deuxième fois, à une heure différente. J’ai toujours pris le temps de voir les gens, de leur expliquer ce qu’il leur arrive, et d’essayer de trouver avec eux des solutions qui permettent d’éviter la catastrophe des saisies. Voilà comment je considère mon métier, comme je l’ai toujours considéré, avant et depuis Outreau.
Mon humanité s’est cependant enrichie sur un point précis : une écoute plus attentive. Lorsque j’ai à exécuter un jugement rendu en matière correctionnelle ou en matière de police, si la personne condamnée souhaite m’expliquer le pourquoi de sa sanction pénale, je l’écoute. Avant Outreau, ma réponse était « Stop ! Je ne veux pas vous entendre, cela ne sert à rien. Le magistrat vous a condamné, vous êtes condamné. » Aujourd’hui, je m’assois, et je dis : « Je vous écoute. » Parce que je sais la valeur d’un tel réconfort, le prix de cette marque d’attention, quand bien même celle-ci ne pourra rien changer à l’exécution du jugement. Et dans mon marasme d’Outreau, les oreilles attentives m’ont beaucoup manqué…
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D’autres réflexes, plus négatifs, hélas, viennent aujourd’hui encore empoisonner ma vie d’huissier, polluer ma vie tout court. Depuis cette salissure aussi injuste qu’ignoble, la présence d’enfants, quand ils ne sont pas encadrés par des adultes, me met mal à l’aise. Lorsque je procède à un inventaire du mobilier, par exemple, je prends garde à ce qu’il n’y ait pas de gamins dans les parages pour que jamais, à l’avenir, on ne puisse m’accuser d’une quelconque volonté de m’en approcher.
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