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Chronique de mon erreur judiciaire

Chronique de mon erreur judiciaire

Titel: Chronique de mon erreur judiciaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Marécaux
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des heures les plus noires de notre histoire.
    Que l’on en juge : des dizaines de familles, arrachées à leur foyer, au petit matin. Des gens en pyjama, que l’on somme de s’habiller à la hâte, des enfants qui hurlent de terreur, que l’on sépare de leurs parents, pour les rassembler au commissariat. Tous les futurs acquittés ont vécu la même torpeur de se voir traités en criminels et de voir leurs enfants jetés eux aussi dans le néant, alors que nul ne pouvait douter de leur innocence. La rafle s’est étendue à de nombreuses familles de la Tour du Renard, à tous les enfants que la police soupçonnait d’avoir été abusés.
    Une femme m’a un jour raconté avoir assisté, par hasard, à cette scène qui s’est déroulée sous ses yeux, alors que mon épouse de l’époque et moi-même étions dans les abysses d’une garde à vue inhumaine : des dizaines d’enfants qui crient, qui pleurent dans la salle du commissariat où on les a parqués. Des enfants qui ne savent même pas pourquoi ils sont là. À mon fils Thomas, alors âgé de treize ans, qui voulait comprendre ce qui se passait, un policier a dit : « Tes parents sont des pédophiles, des criminels. Ils vont en prendre pour vingt ans. »
    Le soir même de notre emprisonnement, nos enfants iront dormir chez des étrangers. Peut-on imaginer leur frayeur ? Leur détresse ? Leur chagrin ? A-t-on pensé à ce qu’ils ont pu ressentir à l’école, dans les semaines qui ont suivi, quand ils ont dû affronter les moqueries salaces des copains qui leur disaient : « Ton père est un violeur, ta mère une salope. » Ils en resteront abîmés à jamais.
    Mais il y a pire, peut-être : à cause de cette séparation brutale, les enfants d’autres faux coupables se sont définitivement détournés de leurs parents. Je ne peux me permettre, dans ce livre, de m’immiscer dans la vie de mes malheureux « condisciples » d’Outreau, mais je sais que, pour certains, ce carnage les a privés complètement de leurs enfants.
    Et à l’heure où j’écris ce livre, certains parents ne les ont toujours pas récupérés ! Non parce que la justice ne veut pas leur rendre, mais parce que les enfants n’ont pas voulu, à la sortie de prison de leurs parents, retourner vivre avec eux. Je pense à ce jeune couple père et mère de fillettes en bas âge (deux et quatre ans, de mémoire). Les petits ont été confiés à une famille d’accueil pendant trois ans, trois années durant lesquelles ils n’ont plus vu leurs parents, ou si peu qu’ils se sont attachés à d’autres père et mère de substitution.
    Et les familles d’accueil, qui ont sans doute fait de leur mieux pour combler le vide affectif dont ces bambins souffraient, n’ont pas pris la précaution de défendre l’image de leurs vrais parents, accusés à tort – mais ils ne le savaient pas, au début –, d’être des violeurs, des pédophiles. Comment ne pas dénoncer une telle aberration, un tel massacre ?
    *
    Les miens, les nôtres – car je n’oublie pas la souffrance de leur mère bien sûr –, ne s’en sont pas remis. Bons élèves avant leur enlèvement, mes fils sont aujourd’hui déscolarisés. Jeté de foyer en foyer sous prétexte qu’il était trop dur, Thomas a été privé de tous repères éducatifs et familiaux. Pendant trois ans, il a appris le respect des prisons, celui qui s’exprime à coups de poings. À dix-sept ans, il est reparti de zéro. Il a dû, non sans mal, réapprendre les principes liés à une éducation normale : l’écoute, le respect des parents, la tendresse. Il a dû lutter – avec moi à ses côtés – pour ne pas tomber dans la délinquance. Connaître une justice folle quand on est enfant, c’est très dur à surmonter. Il m’arrive encore de craindre pour son avenir.
    Mais je ne veux pas me complaire dans ce tableau noir. Nos enfants vont mieux, aujourd’hui, et je voudrais surtout qu’ils sachent qu’ils sont encore en devenir. Je souhaite de toutes mes forces qu’ils parviennent à s’affranchir de ce traumatisme. Je l’ai souvent dit à mon aîné quand il flanchait : « Thomas, mon grand, il y a des portes qui s’ouvrent. Il faut que tu en tiennes compte. Outreau doit faire partie de notre passé, et non plus de notre présent, même si nous savons qu’il sera toujours là. »
    *
    J’insiste sur cette absence de soutien psychologique, pour ces enfants déracinés, pendant notre séjour en

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