Chronique de mon erreur judiciaire
blâme, ne sera adressée à Gérald Lesigne, procureur de la République de Boulogne-sur-Mer, le père adoptif de ce dossier d’assises, la bonne conscience d’une justice inattaquable.
Mais il y a plus surprenant encore. Didier Beauvais, lui, a carrément été promu. Président de la chambre d’instruction de la cour d’appel de Douai, cet homme, dont la mission, en ces années 2000, était de contrôler le travail du juge Burgaud, a directement participé au naufrage d’Outreau. Pour les treize innocents en prison que nous étions, Didier Beauvais, c’était notre terreur. À chaque demande de remise en liberté, nos avocats devaient plaider devant lui. À chacun de ces rendez-vous, il les laissait parler, sans un mot, et leur lançait un « Sommaire ! » qui signifiait : « Abrégez ! » À chaque fois, la demande était rejetée.
Une chambre d’instruction se compose de trois magistrats. La seule présence de Didier Beauvais avait pour effet notre maintien sous les verrous. Les quelques rares remises en liberté qui ont été arrachées l’ont été en son absence !
*
Quelques années après le verdict, j’ai appris par le plus grand des hasards que Didier Beauvais avait été nommé conseiller à la cour de cassation, promotion élitiste par excellence, réservée aux meilleurs.
Faut-il tenter de comprendre ?
Chapitre 58
D’autres enfants victimes d’Outreau : les nôtres
ou
Comment la justice les a brisés dans l’indifférence
Il y a des signes qui ne trompent pas. Au cours de cette année 2006, celle qui suit mon acquittement, mes cahiers s’éclaircissent. L’écriture serrée des quatre années durant lesquelles j’ai été plongé dans l’enfer d’Outreau tend à se relâcher un peu. Je saute des jours, des journées remplies où j’oublie d’écrire Outreau s’éloigne un tout petit peu.
Désormais, je suis un homme innocent à qui l’on vient serrer la main dans la rue. Des sourires timides éclairent le visage des passants. Certains franchissent le pas, s’avancent vers moi pour me témoigner leur sympathie, leur solidarité : « On a suivi votre affaire, on a pensé à vous. Mon pauvre monsieur, ce que vous avez souffert ! »
Un matin, au bureau, Hervé vient me proposer de devenir l’un de ses associés. La roue tourne dans le bon sens, cette fois. Et pourtant, une nuit de janvier 2006, je fais une bêtise, la dernière, je l’espère : je tente une nouvelle fois de mettre fin à mes jours. Cela m’a pris un soir, je voulais dormir pour de bon, dormir pour toujours. J’ai avalé le contenu de ma pharmacie personnelle, pas assez pour mourir, fort heureusement, puisque je reprendrai mes esprits en quelques heures, aux urgences de l’hôpital de Calais.
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Même si, bien sûr, ce geste-là ne peut totalement se dissocier de mes souffrances passées, de toutes ces années où je suis devenu un être abject, un perdant de la vie qui ne retrouvera rien, mon suicide de 2006 s’enracine dans une plaie béante qui, à ce jour, ne s’est pas refermée : la souffrance de mes enfants. Avant d’avaler les cachets, j’écris un mot à Thomas, mon fils aîné, celui qui, de mes trois enfants, est le plus touché, le plus marqué.
J’ai alors cette prise de conscience insurmontable : je suis en train de remonter tout doucement la pente, je suis en train de m’en sortir. Au contraire, mon fils aîné, lui, s’enfonce : je le sens glisser, je le vois sombrer malgré le combat que je mène auprès de lui depuis deux ans. Ce soir-là plus qu’un autre, je me sens impuissant à le tirer de son mal-être. Interrogé sur cette détresse qui, un jour, l’a amené lui aussi à vouloir mourir, Thomas lâchera ces paroles à désespérer des parents : « Ma vie s’est arrêtée en 2001, à l’âge de treize ans. »
Et si je prends la peine de décrire, avec la plus grande pudeur possible, la blessure de mes enfants, ce n’est pas pour en faire des martyrs au grand jour, bien au contraire. Je sais combien une vie normale, une vraie vie d’adolescent enfin déconnectée de cette horreur d’Outreau leur est indispensable pour se construire, pour avancer.
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Je le fais pour dénoncer des comportements policiers et judiciaires inimaginables au sein de la société française, une démocratie citée en exemple pour son souci du respect des libertés et des droits de l’homme. Or, le comportement de la police, ce 14 novembre 2001, me renvoie au souvenir
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