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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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rallumez les lanternes, que mon amie
puisse lire !
    Le paquet
entouré d’une grosse ficelle qu’elle tendait à Sensitive avait été fait à la
hâte, sans soin. L’envoi contenait deux documents bien distincts : l’un
était un parchemin roulé fort ancien et rédigé en latin, l’autre une feuille de
Corvol l’Orgueilleux où les lignes tracées sans ordre par une main tremblante
se chevauchaient parfois et rendaient malaisée la lecture du billet. Sensitive
essuya ses yeux que les larmes avaient troublés. Elle approcha de la lanterne
le papier qu’elle venait de dérouler. Madame de Staël anxieuse protégeait son
amie sous son bras. Curieuse de savoir, elle essayait de lire en même temps que
son amie mais n’y parvenait pas.
    Sensitive
lut et relut. Les quatre laquais frappaient du pied avec impatience. À la fin
la marquise referma le billet et remit le paquet en ordre.
    — Eh
bien ? demanda Germaine.
    Sensitive
haussa les épaules.
    — Il
me communiquait ses dernières volontés. Passez devant, ma chère, je vous
rejoins à Coppet.
    Un peu
inquiète la baronne obéit néanmoins en recommandant à son amie :
    — Ne
tardez pas. L’endroit est dangereux.
    — Le
temps d’aller pisser, si vous permettez.
    Les deux
femmes éclatèrent de rire et Germaine remonta dans sa désobligeante. Sensitive,
l’oreille aux aguets, attendit que le trot du coursier se fût évanoui.
    À ses
laquais aux ordres et qui attendaient avec anxiété, elle dit.
    — Nous
n’irons pas à Coppet. Nous prenons la route de Grenoble.
    — Mais
madame, vous courez à la mort. Vous serez arrêtée bien avant d’atteindre cette
ville.
    — Ce
sont mes ordres.
    Le
postillon, fouet en main, tourna le dos à sa maîtresse. Il y eut un
conciliabule entre les trois palefreniers. Le postillon revint vers la
marquise :
    — Madame,
dit-il chapeau bas, mes compagnons et moi avons femmes et enfants. Vous savez
le sort réservé à ceux qui aident les émigrés. Nous ne pouvons vous accompagner
plus longtemps. Si vous permettez.
    C’était
une circonlocution de beau langage.
    — Si
vous permettez, répéta-t-il, nous allons vous laisser ici et nous disperser
vers la Suisse.
    — Vous
êtes libres.
    — Croyez
que nous regrettons.
    — Vous
ne regrettez rien du tout. Partez !
    Les trois
laquais s’éloignèrent lentement. Leur conscience peut-être retardait leur
action. Un minuscule aide-palefrenier qui faisait le voyage accroché au dernier
marchepied durant tout le trajet était cependant demeuré immobile. Son visage
était tavelé d’éclaboussures de boue récoltées en chemin et qu’il n’avait pas
essuyées étant résigné à ces crachats permanents.
    — Eh
bien ? Qu’est-ce que tu fais ?
    Le
laquais qui avait pris la parole pour ses deux compagnons posa sa main sur la
tête du béjaune qui la lui retira brusquement.
    — Non !
Je ne viens pas !
    Le
laquais saisit vivement le bras de l’apprenti et voulut l’entraîner. Le béjaune
lui balança un coup de pied dans le tibia et vivement vint se placer derrière
la marquise.
    — Pourquoi,
dit calmement Sensitive, vous qui êtes tant à cheval sur votre liberté, ne lui
laissez-vous pas exercer la sienne ?
    Le
laquais fut désorienté par cette évidence à laquelle il ne trouvait rien à
répondre. Il dévisagea Sensitive stupidement et, haussant les épaules, tourna
les talons et rejoignit ses compagnons.
    Le
béjaune ne sortit des jupes de la marquise que lorsqu’il fut bien certain qu’ils
étaient tous partis. Là, il se mit à genoux devant elle et serrant sur son cœur
son chapeau à lampion il lui tint ce petit discours tout balbutiant, la tête
baissée comme au confessionnal :
    — Madame,
moi je vous suis. Il y a longtemps que j’ai envie de connaître Grenoble et les
montagnes. C’est là que la liberté est née. (Il était encore trop jeune pour
connaître les nuances de la langue et de la pensée.) Je voulais devenir cocher
en chef, alors j’ai bien regardé tout ce qui concerne les chevaux. Les vôtres
sont des bêtes dociles et pleines de force. Les harnacher j’ai vu comment. Ce
sont des bêtes faciles et aussi résignées que moi. Il ne faudra que les faire
manger, boire et dormir. Manger, vous avez un bourras de foin sur la toiture de
votre carrosse, boire, on trouvera des fontaines et dormir, il suffira de
s’arrêter en route.
    — Non.
Si nous partons tout de suite nous pouvons être à Grenoble demain au soir.

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