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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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reflet. Je supplie humblement Votre
Majesté de me substituer à elle en sa prison. Si Votre Majesté accepte, quelle
me le fasse savoir par la même blanchisseuse à laquelle je me fie car elle a de
l’ambition et n’a pas froid aux yeux, je suis prête à mettre ma fortune en tout
soudoiement qu’il faudra pour cette entreprise.
    Je mets mon dévouement aux pieds de Votre Majesté dont je suis l’humble
et dévouée servante.
    Sensitive,
seule dans sa voiture et toute méditante, esquissa un sourire amer au souvenir
du morceau de papier froissé qu’elle reçut à son hôtel le lendemain, par
l’intermédiaire d’une corbeille de linge propre et frais repassé.
    « Madame,
vous vous oubliez ! Personne ne peut se mettre à la place de la
Reine, je pardonne votre outrecuidance, supposant votre bonne foi, mais n’y
revenez pas ! M.A. »
    C’était à
peine signé mais le soulignement des mots essentiels avait été tiré d’un seul
trait rageur qui avait craché sur la feuille.
    — Vous
méritiez ce camouflet ! lui dit le lendemain sa tendre amie, la baronne de
Staël. Quelle mouche vous pique de vous camper héroïquement au lieu de vous
faire toute petite comme moi. N’avez-vous donc pas envie de voir la suite des
événements ? Ils sont prodigieux !
    — Détrompez-vous !
J’ai tremblé de peur en écrivant cette missive et vous avouerais-je que j’ai
été bien soulagée que la reine refusât en termes si définitifs.
    — C’était
donc du théâtre ! dit Germaine méprisante.
    — Avez-vous
bien réfléchi que maintenant on peut trancher nos têtes ? dit Sensitive en
frissonnant.
    La
Terreur était en son enfance. Les massacres étaient encore spontanés et non
légalisés. On n’avait encore, pour amuser le peuple qui s’y était fort délecté,
que promené au bout d’une pique la tête de la princesse de Lamballe.
    Quand
l’homme envisage d’être héroïque, il imagine toutes sortes de morts : les
tripes au soleil, les jambes sectionnées se vidant de leur sang, les parties
génitales arrachées, tout sauf ce qu’a inventé le docteur Louis : la
séparation radicale et systématique de la tête et du corps. La terreur règne
dans l’âme sitôt que cette éventualité est envisagée, et ce n’est pas pour rien
qu’on a nommé ainsi la période qui vit la machine à sectionner dressée en
permanence place de Grève et ailleurs.
    Le
docteur Louis qui avait inventé cette ingénieuse machine (le docteur Guillotin
n’y avait ajouté là que la planche à bascule qui facilitait le travail), le
docteur Louis était un pervers de la pire espèce. Il avait bien conscience que
ce n’était pas la mort en elle-même qui révulsait le condamné mais bien la
perspective que sa tête fut séparée du tronc. Oh, il y avait bien eu,
auparavant, le billot et la hache du bourreau masqué, mais c’était peu fréquent
et en général réservé aux nobles. Le peuple lui était voué à l’estrapade, à la
roue, à la pendaison, toutes choses en quoi le supplicié, une fois mis à la
voirie, gardait quand même la forme de la naissance.
    On
pouvait conserver espérance que le corps s’il était entier entrerait quand même
au royaume des cieux, mais dès qu’on envisageait de pénétrer dans ce nirvana
sans tête, le cœur faillait. On avait, ancrée dans l’inconscient, l’idée que
toute la jouissance de l’éternité résidait dans la commande de la tête et que
même réduit en cendres pour toujours, s’il y avait une chance sur un million
pour que l’âme fût immortelle, c’était à condition que le corps de l’homme fût
jeté en terre dans la forme entière où il était né. Coupé en deux et la tête
allant à vau-l’eau, voilà qui était insoutenable même pour les athées.
    La
légende grossissait. Le fait brutal, la tête coupée, était devenu l’obsession
de tous les Français. L’apprentissage de la République se fit et s’ancra dans
la mémoire à la faveur de tout ce qu’il fallait faire pour échapper à la
Louisette, et sous une telle menace la mémoire était tenue en éveil en
permanence. On passait son temps à réviser le bréviaire républicain car il
fallait une obéissance spontanée, immédiate, à une philosophie qui elle était
en perpétuel devenir, adaptable à la faveur des tribuns guillotinés par
d’autres plus pragmatiques. Il y fallait une souplesse toujours sur le qui-vive
pour échapper au courroux sourcilleux de maîtres

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