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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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aux grilles. Les coups de fouet
intempestifs, les imprécations et les ordres vains soulignaient cette ignorance
des périls, même si se posaient encore entre les palefreniers et les valets des
questions de préséance :
    — Place
à monsieur le marquis de Choiseul !
    — Place
à monsieur le duc de Chaulnes !
    Quand le
carrosse de Sensitive put enfin se frayer chemin dans cette débâcle, il était
cinq heures du matin et le jour se levait. Elle n’avait que quatre chevaux à sa
voiture et des équipages à huit chevaux ne cessaient de sonner du cor et de
crier à leurs valets qu’on s’écartât.
    Le bruit
courait parmi les fuyards que le peuple souverain, encore ahuri par sa
victoire, s’était allé coucher et que la désorganisation totale était propice à
la fuite.
    Sensitive était arrivée sans encombre jusqu’à Cluny où elle avait un
parent dans les environs, descendant d’un corsaire de Louis XIV. C’était un
Forbin, qui l’avait jadis tenue sur les fonts baptismaux et qui avait été fort
bonhomme jusqu’à ce qu’un procès perdu contre les prémontrés le rendît athée et
ennemi du genre humain. Il avait alors fait élever autour de son château
délabré une palissade aux barreaux de fer sommés de piques acérées et adornée
d’un portail qu’on ouvrait rarement sur lequel, ayant martelé son blason, il
avait fait forger cette sentence redoutable qui le faisait tant méditer
autrefois quand il lisait Molière :
    À fuir dans un désert l’approche des
humains.
    Au cor
sonnant du maître d’équipage, ce portail rébarbatif ne s’ouvrit pas tout de
suite devant Sensitive. Le misanthrope maugréant mit du temps à se montrer. Il
n’avait plus de serviteurs, les ayant congédiés car, étant du peuple, ils
personnifiaient la Révolution et il ne voulait rien avoir à faire avec elle. Il
l’avait publié urbi et orbi et belliqueusement. Il vivait à côté d’une
espingole toujours chargée et d’un baril de poudre à canon au milieu de sa
chambre à coucher. Moyennant quoi il avait fait savoir que si la canaille
l’attaquait, il ne partirait pas seul.
    De la
part de ce réfractaire qui prétendait avoir prédit ce qui devait advenir de la
royauté et qui proclamait partout que si la race humaine disparaissait dans sa
totalité, y compris lui-même, le monde ne s’en porterait pas plus mal, on
savait que ce n’était pas parole en l’air.
    Néanmoins
ce Forbin savait ce qu’il devait à cette parente dans le besoin et dont le nom
était plus vieux que le sien sur les états nobiliaires et dans l’ordre du
Saint-Esprit. Il la reçut du mieux qu’il put par ces temps de disette et la
fournit de ces quatre percherons qui lui parurent plus solides pour faire tant
de lieues.
    Il
demanda des nouvelles de Paris et de Versailles. Sensitive ne pouvait lui en
offrir que de très mauvaises.
    À chaque
horreur qu’elle lui narrait, le Forbin s’exclamait de satisfaction, tout
heureux d’avoir été si bon prophète. Il n’avait pas de préférence, nobles ou
roturiers, pour les victimes des événements et il jubilait à l’énoncé des unes
et des autres. Mais quand Sensitive lui dit qu’elle avait vu passer devant ses
fenêtres la tête de la princesse de Lamballe au bout d’une pique, il fit quand
même le geste de porter la main à la sienne pour vérifier qu’elle était
toujours là.
    De Cluny
à Annemasse on eût dit que jamais n’avait eu lieu sur ces rivages rien qui pût
déranger l’éternité. La vigne prospérait, les rivières s’étalaient
paisiblement ; des charollais tout en muscles étaient vautrés dans l’herbe
grasse et ruminaient en toute paix. C’était l’image du pays sur des dizaines de
lieues. La nuit leur ventre blanc reflétait la lune.
    Les
graves clochers de village en village sonnaient tranquillement les heures et,
si l’on passait assez près des fenêtres, on entendait ronfler les bourgeois peu
inquiets.
    Quand
l’équipage de Sensitive atteignit les rives du lac de Genève, il y avait un
grand moment déjà qu’une calèche légère guettait sous les saules. Une femme
petite et boulotte était descendue de la désobligeante qu’elle conduisait seule
et en avait éteint les lanternes. En faisant les cent pas anxieusement, perdue
dans ses réflexions, elle contemplait Genève au-dessous d’elle. Elle se tenait
exactement à l’endroit où le père de Jean-Jacques Rousseau, contraint de
quitter la ville, dit à son fils de dix

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