Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
Vom Netzwerk:
ans : « Jean-Jacques, aime
ton pays. »
    La dame
toute seule hochait la tête à ce souvenir si souvent évoqué en lisant le
philosophe. Isolée dans ce grand silence, elle prononça distinctement ces mots
qu’elle ne destinait à personne : — En suivant ce novateur avec
passion, nous avons contribué à creuser notre tombe.
    À cet
instant du fond de l’ombre, à l’orée d’une sapinière, un charroi s’annonça et
la forme d’un carrosse tous feux éteints émergea de la brume.
    Quatre
laquais mirent pied à terre, un petit valet vint ouvrir la portière du véhicule
et se tint chapeau bas en soutenant le marchepied. La dame qui guettait
jusque-là se précipita en criant :
    — Sensi !
    Le valet
de pied mit un doigt sur ses lèvres et dit tout bas.
    — Madame,
elle dort !
    — Elle
ne dort pas pour moi ! dit la dame.
    Elle
avait passé la moitié du corps par l’ouverture et déjà elle envahissait de son
amour la dormeuse qui reprit aussitôt ses esprits. La réalité l’agressa en tous
ses détails à la fois.
    — Oh !
Germaine ! Quelle abomination si tu savais !
    Elle
avait happé l’étreinte de son amie. Les pleurs jaillissaient de ses yeux,
témoignaient des souvenirs hallucinants d’une réalité qu’aucune heure de sa vie
ni autrefois ni depuis ne l’avait préparée à assumer.
    — Germaine !
Je sors d’un bain de sang long de trois ans déjà ! Je suis souillée jusqu’à
l’âme. Je ne crois plus en Dieu ! Tout est tombé de nous. Tout nous a été
arraché. Nous étions si heureux !
    Sur sa
belle poitrine s’écoulait un ruisseau de larmes que sa compagne contenait de
son mieux en l’étreignant.
    — Je
suis là, Sensi ! Je suis là !
    La crise
de larmes s’acheva en tremblement. Sensitive recevait le choc en retour de tant
d’horreurs qu’avaient enregistrées ses yeux.
    Germaine
l’apaisait comme elle pouvait, pénétrée du sentiment lancinant que le temps
pressait car elle avait un devoir à remplir auprès de son amie. Sur le siège de
la désobligeante, un paquet scellé portait cette mention : À remettre à ma fille dès que vous la verrez.
    Depuis
vingt-quatre heures fuyant la Cour, Germaine Necker avait reçu ce message de la
part du marquis Toussaint Pons de Gaussan, lequel était à l’article de la mort.
C’est ce qu’elle apprit dès qu’elle put à son amie éplorée.
    — Pardonne-moi,
Sensi, mais ton père…
    — Eh
bien ?
    — Il
va mourir ! Il t’a fait chercher partout. Il a quelque chose d’urgent à te
communiquer. J’ai quitté Paris en catastrophe ! Deux hommes sont venus
chez moi au péril de leur vie. Ils m’ont remis ça de la part de ton père.
    Au
courant de ces paroles, elle ne cessa d’envelopper son amie de toute la
tendresse dont elle était capable.
    — Je
suis arrivée à Coppet hier au soir, depuis je t’attends ! Le serment fait
à un mourant est sacré ! Je lui ai promis de te remettre ça. Je ne peux
plus attendre. « C’est la prunelle de mes yeux ! » m’a-t-il dit.
    Maintenant
Germaine pleurait elle aussi. L’étreinte des deux malheureuses était poignante
car elle contenait dans le silence de la nuit tout le malheur du monde que nul
ne pouvait plus rédimer.
    Un
laquais discrètement s’agenouilla devant la portière battante.
    — Pardonnez-moi,
madame, mais il est dangereux de s’attarder ici. Un parti de hussards est
annoncé qui refoule tous les émigrés. Vous êtes en grand danger d’être arrêtée
et de vous retrouver à la Conciergerie.
    Ce fut
Germaine qui se tournant vers l’importun lui répondit :
    — Croyez-vous
donc qu’il soit si facile de se débarrasser ainsi de son pays en un
tournemain ?
    — Sans
doute, répondit l’écuyer, mais cela vaut mieux que de voir promener sa
tête !
    Celle de
la princesse de Lamballe brandie au bout d’une pique avait été tellement
parlante, étant la première de tant d’autres, que même le peuple souverain s’en
était senti marqué au fer rouge, frissonnant devant cette image qui, répandue
partout, avait étouffé les vivats d’abord suscités. La pauvreté de cette tête
morte (dont il avait bien fallu en la redessinant ôter tout le charme) avait
anéanti l’opulence orgueilleuse qu’elle avait autrefois évoquée. Elle avait,
par sa misère présente, ramené chacun à la sienne propre et au peu d’importance
qu’elle représentait dans l’univers.
    — Lis
vite ! dit Germaine. Flandrin !

Weitere Kostenlose Bücher