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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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Mais
savez-vous ce que vous risquez ?
    Le
béjaune haussa les épaules.
    — Que
m’importe, dit-il.
    Il
voulait dire : « Que m’importe, je vous aime », mais il se
serait fait couper la langue plutôt que de l’avouer. D’après lui, les
circonstances étaient trop graves pour laisser place à la fadaise.
    — Comment
vous appelle-t-on ?
    — Colas.
    — Eh
bien, Colas, vous n’avez pas peur ?
    — Non,
madame, avec vous j’irai jusqu’au bout du monde.
    La
marquise qui souriait jusque-là se rembrunit.
    — Ça
risque d’être au bout de la mort, dit-elle.
    Fataliste,
Colas écarta les bras sans dire mot.
    Mais
d’abord, sauf quelques bourgeois en voiturin qui se faisaient gloire de les
dépasser au galop, la nuit qu’éclairait la pleine lune leur fut favorable.
    Une
grande pagaille avait désorganisé les esprits. Les contradictions fusaient dans
les sections des Girondins. Les excès de Paris, dont on était tenu au courant
heure par heure par des estafettes lancées au galop, avaient atterré les hommes
de sens rassis qui savaient ce que vaut une vie humaine. Tout le monde
abandonnait son poste pour délibérer au lieu de veiller. Dans tous les villages
traversés, les fenêtres des clubs étaient illuminées a giorno et l’on voyait
gesticuler des personnages qui faisaient de grands effets de manche. Lorsque la
lumière des lampes parfois tirait leur visage de l’ombre, la consternation
était peinte sur leurs traits.
    Les
percherons s’étaient remis paisiblement en marche de leur trot cadencé. Colas
les gouvernait de main de maître et même il leur chantonnait à voix basse une
chanson pour cheval qu’il avait apprise du maître cocher.
    La marquise rassurée ouvrit le pli de son père pour le relire : la
lanterne sourde qu’elle avait accrochée à l’habitacle balançait sa lumière
falote au gré du trot des percherons, ce qui rendait la lecture malaisée. Mais
Sensitive avait vingt-cinq ans et la vue perçante. Son père devait être à bout
de souffle, cela se voyait à l’irrégularité des lignes, à la hauteur des
caractères parfois très grands et soudain minuscules.
    Ma Sensi bien-aimée, écrivait-il, l’horreur est partout autourde nous, nous sommes autour de Mayence
assiégée et je souffreterriblement
d’un accès de goutte. Il n’y a pas deux semaines, en passant par Verdun, que
nous avons assisté à une scène affreuse : six vierges enchaînées de
peut-être quinze ans et qu’on avait tondues. J’ai appris depuis quelles avaient
été guillotinées pour avoir offert des fleurs au roi de Prusse ! On a vu
aussi les fanfares de Brunswick jouer le Ça ira et La Marseillaise, sous prétexte de narguer les Français. Les armées sont dans
la fange de l’Argonne jusqu’aux essieux et personne ne songe à la guerre sous
une pluie battante qui dure depuis trois semaines. Ton frère est à l’armée.
Tiburce se plaint du manque de femmes. Il a pris part à plusieurs coups de main
et s’est héroïquement conduit. J’attends de toi que tu fasses de même et c’est
là que je voulais en venir. Ce n’est pas parce que tu es une femme que tu dois
être dispensée d’héroïsme.
     
    Lisant
ces mots Sensitive froissa la lettre et de dépit la jeta sur le plancher du
carrosse. Des larmes jaillirent de ses yeux. Comment son père pouvait-il douter
de sa fermeté d’âme alors qu’elle avait fait une fois déjà le sacrifice de sa
vie ?
    Toute sa
jeunesse, les flatteurs et les clairvoyants lui avaient fait compliment de sa
ressemblance avec Marie-Antoinette. On avait souligné en aparté devant elle,
mais de manière qu’elle entendît, son port de tête, ses admirables cheveux
blonds, ses yeux bleus légèrement globuleux, son front bombé et moins flatteur
mais tout aussi étonnant, la lourdeur impitoyable du menton qui avait
caractérisé les Habsbourg tout au long de leur dynastie mais surtout son port
de tête royal et la longueur inusitée de son cou gracile ; même la voix
avait fait l’objet dans le roulement guttural des consonnes de commentaires
perfides sur le léger accent allemand dont la reine n’avait jamais pu se
départir.
    Quand
celle-ci fut confinée au Temple, Sensitive lui fit parvenir ce billet, à la
faveur d’une blanchisseuse démunie qui accepta parce qu’elle avait des enfants
à nourrir.
     
    Votre
Majesté, le hasard a fait, la chose est avérée, que je ressemble à Votre
Majesté ou à tout le moins que j’en suis le

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