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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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sans-culotte on te prendra et on te coupera la
tête.
    C’était lapidaire
à souhait. Le muet obéissant referma son tranchet et le couple s’éloigna sans
faire plus de bruit.
    Soixante
ans plus tard, à la veillée du pauvre Albert, toujours coiffée de la fanchon
qui l’avait rendue célèbre, Thérèse commentait l’affaire devant trois aïeules,
comme elle chargées de bien des péchés. Elle ne comprenait toujours pas.
    — Pourquoi
j’ai fait ça ? disait-elle. Pourquoi je l’ai empêché de le tuer ? On
avait pourtant bien besoin d’argent à cette époque et avec la bague de la dame
il y avait de quoi nous renflouer.
    À la
lumière d’un cierge, elle enfilait d’un geste infaillible une aiguillée de
coton à repriser les bas.
    — Non !
disait-elle en secouant la tête. Va savoir ? Quand j’ai vu son minois au
rayon de la lune, avec ses cheveux frisés et son nez retroussé, ça a été plus
fort que moi. J’ai pas pu.
    Elle
concluait en haussant les épaules :
    — Peut-être que je m’étais mise à l’aimer. En tout cas, c’est la
seule fois que j’ai épargné quelqu’un.
     
    Au lever
du jour, devant la mine pensive de Thérèse (elle regardait le doigt dont
Sensitive avait retiré la bague), le départ des deux fugitifs eut plutôt l’air
d’une fuite éperdue que d’un retrait en bon ordre. Colas avait tiré de sa poche
une poignée d’assignats qu’il versa sans regarder entre les mains de l’hôtesse.
On mit tout de suite au trot les percherons mal réveillés. On reprit à la
fontaine les deux sacs de louis intacts. Il n’y eut qu’un seul incident entre
Serres et Laragne. Colas tomba de son siège. Sa nuit blanche lui fut fatale. Il
s’endormit les rênes à la main. Cela fit un vacarme du diable. Sensitive sur
ses coussins s’éveilla en sursaut, ouvrit la portière. Le carrosse était
immobile. Colas gisait entre les pattes des percherons. Ceux-ci s’étaient
immobilisés net alors que le fer de la roue avant gauche était sur le point
d’écraser la gorge du béjaune. Sensitive le tira de là comme elle put. Il
titubait. À peine s’il reconnaissait son monde. Elle l’installa sur les
coussins et prit sa place sur le siège du cocher. Ce fut là qu’elle finit le
voyage.
    À
Sisteron, la porte du Dauphiné était libre et grande ouverte. Personne ne la
gardait et la ville reposait tranquillement à l’ombre des beaux arbres. Les
gens prenaient le frais devant les demeures, sur des chaises ou sur les bancs
de pierre, qu’ici on appelle des banquets.
    Sous le
pont de la Baume, la Durance chuchotait en sourdine sur ses basses eaux.
    Le glas
sonnait à coups très espacés. L’église aux portes béantes était illuminée
jusqu’au chœur. On voyait le desservant et ses acolytes bénissant un cercueil.
Ce devait être quelqu’un de très aimé dont on célébrait les funérailles. Le
saint sacrement haut levé témoignait que le prêtre n’était pas assermenté.
    Le
clergé, en ces montagnes, n’avait pas eu à beaucoup tenir compte du
gouvernement de Paris ni de ses décrets. La peur du néant après la mort était
pire que celle de la guillotine. C’était l’impératif catégorique des
montagnards que d’être rivés à ceux qui détenaient le pouvoir sur l’au-delà.
Toutes les objurgations sur la raison les laissaient de marbre.
    Les gens
d’Embrun, de Sisteron, de Barcelonnette, malgré les trublions qui leur
préconisaient le culte de l’Être suprême, ne mordaient pas à l’hameçon. Les
avalanches, les torrents en débords, les glissements de terrain, le peu de
marge qui existait entre la faim et la famine et par-dessus tous les hivers
farouches où l’on se serrait à douze en une seule pièce, ayant de quoi méditer
sur le néant, tout cela les blottissait au creux du Dieu au seul corps unique.
    À
Forcalquier non plus il n’y avait pas de poste de garde. Là aussi un glas
sonnait lentement. Une centaine de personnes entouraient l’église où se
célébrait un enterrement.
    La marquise, le cœur battant, vit bientôt se profiler la silhouette de
la citadelle de Mane que ses ancêtres avaient bâtie. Au bas de la pente, sur la
place devant le ci-devant hôtel-Dieu, cinquante Manarains de peut-être vingt
ans avaient mis l’effigie de la reine au bout d’une perche à gauler les noix et
ils chantaient La Carmagnole avec conviction :
    Madame
Veto avait promis
    Madame
Veto avait promis !
    De
faire égorger tout Paris
    De
faire

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