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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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de flambée. Il se leva pour accueillir. Il avait en travers du cou
une lanière de fouet qui ne devait jamais le quitter. Il n’était pas borgne
mais, le sourcil toujours levé du même côté, il en avait l’apparence.
    — Mon
homme, dit Thérèse (et le borgne acquiesça du chef). Il est muet. Il fait le
courrier entre Lus et Châtillon-en-Diois. Si vous avez besoin…
    Sauf ces
deux êtres parfaitement assortis, un vide menaçant faisait silence dans la
grande maison. Colas alarmé se demanda depuis combien de temps cette auberge
n’avait plus vu de clients. La porte béante de l’écurie où les chevaux
s’étaient engouffrés, et il les avait laissés faire sans réfléchir, lui
évoquait une ratière dont on vient de soulever la trappe.
    La chère
était bonne. Un vin curieux offrait sa belle apparence pleine de reflets sous
le calel dont la flamme oscillait au courant d’air.
    — Ne
buvez pas ! murmura Colas. Le vin en la bouteille n’est peut-être pas
seul. Il y a peut-être de quoi vous endormir.
    Il
trouvait que ce bigleux du sourcil, avec son fouet inutile passé autour des
épaules comme un talisman, n’avait pas l’air chrétien.
    — Que
puis-je risquer, dit Sensitive, vêtue comme une pauvresse et avec mes sabots ?
    — Les
choses sont si naturelles, madame, dans votre monde que vous ne vous êtes pas
avisée que vous avez à votre chère main un diamant éblouissant tant qu’il peut
au moindre reflet, même celui d’une chandelle. Il y a là de quoi vous faire
couper le doigt cette nuit même !
    Il
regarda vers l’âtre où les deux aubergistes méditaient chacun de son côté. Ils
remâchaient des mots à voix basse.
    — Surveillez-les.
Appelez-les, pour avoir de l’eau, du sel, n’importe quoi, mais surtout qu’aucun
d’eux ne me suive ! Occupez-les !
    Il se
leva et sortit de la pièce. Il venait de penser aux sacs d’or. Il était sûr que
les hôtes fouilleraient le carrosse cette nuit et s’ils trouvaient les sacs, il
ne donnait pas cher de leur vie à tous deux, la marquise et lui. Avec toutes
les peines du monde il tira son trésor du coffre et le transporta au bord de la
route à deux cents mètres de là, au pied d’une fontaine qui faisait son beau
bruit toute seule dans la nuit. Il le dissimula sous les branchages.
    — Je
vais vous montrer votre chambre, dit l’hôtesse.
    Elle leva
devant eux un quinquet pour les éclairer dans l’escalier.
    — Je
vous donne la meilleure que j’aie ! dit-elle gracieusement à Sensitive. Le
monsieur couchera dans la soupente.
    L’heure
était venue. Elle leur laissa le quinquet et s’éloigna avec un souhait
banal :
    — Faites
de beaux rêves !
    Sensitive
attira Colas contre elle.
    — Tu
viens avec moi ! dit-elle. J’ai envie de dormir sur ton épaule.
    Colas
secoua la tête.
    — Jamais
de la vie ! Même pas sur la descente de lit ! Je coucherai dehors sur
le paillasson et le diable m’emporte si je ferme l’œil !
    Il fit
comme il avait dit, son couteau picard légèrement enfoncé au creux de l’estomac
pour être sûr de ne pas s’endormir.
    Il
entendit l’escalier de bois vibrer sous des pas très légers et qui avaient
l’habitude du silence. C’était le milieu de la nuit et il n’y avait pas de
lumière. Deux corps passèrent devant la lucarne d’où pénétrait le clair de
lune. Colas prit bien en main son couteau auvergnat. C’était un objet à la lame
incurvée, auquel on pouvait se fier pour tuer. Colas le tenait de son
grand-père, en main propre, lorsque celui-ci était mort. Il l’avait appointé la
veille sur une grosse pierre. « C’est un souvenir de famille, lui avait
dit l’aïeul. Tu en feras bon usage. »
    Le moment
était peut-être venu. Par la lucarne huchait un rayon de lune que Colas reçut
en caresse sur le visage. Il perçut deux souffles attentifs qui se penchaient
jusqu’à lui. Ils sentaient l’ail et les buis des taillis. Il se dit qu’il
frapperait au jugé dès qu’il sentirait une respiration précise qui prendrait
élan pour un effort suprême. Ce sont là sensations aiguës dont on est obligé
d’avoir l’habitude lorsqu’on court les grands chemins.
    Un bruit
très doux fit comprendre à Colas que le muet faisait jouer le cran d’arrêt de
son couteau de vigneron. La voix chuchotante de Thérèse s’éleva.
    — Arrête !
disait-elle. Tu as vu ? C’est un sans-culotte. Il a même gardé son bonnet
phrygien ! Si tu occis un

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