Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
Vom Netzwerk:
sacs
d’or que le marquis de Gaussan fuyant la révolution lui avait confiés naguère.
Colas voulut faire ce travail avec entrain, voyant le peu de volume de
l’ensemble. En réalité, il faillit y attraper un tour de reins et grimaça.
Gagnon se mit à rire.
    — Ça
t’apprendra ! dit-il, à croire que l’or c’est aussi léger qu’une
plume !
    Néanmoins
le béjaune équilibra les deux sacs, les porta jusqu’au carrosse d’une seule
traite et les engouffra tout seul au fond du coffre à bagages.
    Pendant
ce temps Gagnon avait surgi dans la chambre stricte de sa fille Séraphie où
nulle fantaisie n’était admise sauf une reproduction du Verrou, le
tableau de Jean-Honoré Fragonard, grivoise gravure dont Gagnon s’était toujours
demandé pourquoi la prude Séraphie l’avait accrochée au mur.
    La
marquise était encore dans les draps et s’éveillait à peine. Elle était
strictement déshabillée d’un caraco bistre de Séraphie (laquelle était à
Sassenage pour la récolte des poires). Le docteur surgissant devant elle ne lui
accorda pas un coup d’œil. Depuis la mort d’Henriette sa fille, il ne regardait
plus les corps féminins.
    Il avait
fourragé dans l’armoire de Séraphie et ses bras étaient chargés d’affûtiaux de
vieille fille.
    — Je
suis navré, madame, dit-il à Sensitive, d’éteindre votre beauté sous ces
hardes, mais les temps sont durs pour les gens de votre espèce et vous vous en
tirerez mieux dans cette robe de futaine de ma fille Séraphie qu’avec vos
soieries de marquise.
    Il se fit
montrer le billet que le sergent nouveau marié avait péniblement rédigé pour
servir de sauf-conduit aux fugitifs.
    — Tout
cela est bel et bon, dit Gagnon. Espérons que ça servira. Il y a juste le
nombre de fautes qu’il faut pour endormir la défiance des gardes.
    Il tint à
vérifier lui-même le bon état de la voiture et la santé des chevaux. Colas,
bonnet phrygien à la main et tête basse respectueuse, ouvrit la portière à la
marquise.
    — Ne
t’avise pas de marquer ce respect devant les gardes, dit sévèrement Gagnon.
C’est une prisonnière que tu conduis.
    — N’ayez
vergogne, dit Colas. À la première alerte, je l’enferme dans le coffre !
    Le
docteur et le fidèle Lambert regardèrent s’éloigner le lourd équipage au trot
cadencé des quatre percherons.
    — Tu
leur as bien mis le panier de provisions ?
    — Oui,
notre maître, aux pieds de la marquise, sur un linge bien propre.
    — Tu
n’as pas oublié le vin ?
    — Que
Dieu garde !
    — Alors alea jacta est   !
    Malgré
qu’il en eût, le bon docteur ne pouvait s’empêcher de faire un sort historique
à toutes les sentences qu’il prononçait. Il tenait ce travers de son maître
Voltaire si souvent relu.
    Les deux
hommes franchirent le passage Montorge pour suivre la berline le plus longtemps
possible. Derrière eux, le petit Beyle regardait aussi. Il regrettait
amèrement, cela se voyait à son sourire, de n’avoir pu mordre le cou de la
marquise dont les épaules lui paraissaient si appétissantes.
    — Tout
de même… quinze ans ! murmura Lambert.
    Gagnon
perçut parfaitement le sous-entendu.
    — Et
alors ? dit-il. Tu ne bandais pas toi, à quinze ans ?
    Le petit Beyle enregistra le propos et en fit plus tard son profit.
     
    La
berline s’engagea dans l’interminable ligne droite qui longe le Drac jusqu’au
pied des montagnes. D’admirables allées d’érables ombrageaient ce parcours et
les chevaux, semblait-il, prenaient plaisir à le suivre au pas de promenade. À
Vif, à Saint-Martin-de-la-Cluze, le brouillard du matin d’été recouvrait les
fonds du Drac et de la Gresse. Les percherons dépassèrent sans coup férir
quelques fardiers et une lourde diligence dont les voyageurs qui suivaient à
pied applaudirent Colas parce qu’il n’était pas fréquent en ces parages de
rencontrer un sans-culotte en bonnet phrygien, il n’y avait pas de charroi
spécial ni soldats ni voitures de louage. La paix des montagnes s’étendait sur
le Vercors et sur le Trièves. Colas voyait au loin les glaciers de l’Obiou pour
la première fois de sa vie et il en poussait tout seul des cris de joie. Au
Monétier-de-Clermont, dans le célèbre étranglement, ils avaient dû passer
devant quatre gardes nationaux pensifs qui piquaient du nez sur leur feu de
bivouac. Colas maîtrisa les chevaux pour pouvoir s’arrêter net s’il était
interpellé, mais les hommes

Weitere Kostenlose Bücher