Chronique d'un chateau hante
haut de l’escalier, était allé sans bruit jusqu’à la
chambre et du tiroir au bas de l’armoire, là où son propre uniforme fantoche
reposait, il tira l’épée flexible dont son instructeur lui avait fait cadeau à
son lit de mort. Il descendit sans bruit l’escalier et se mit en garde. Le
trublion se retourna. Sensitive se précipita devant son fils et lui barra le
chemin. Elle cria :
— Non !
C’est un bretteur, il t’assassinera !
Elle
masquait le trublion à Palamède de tout son corps déployé.
Le
trublion maugréant remit le sabre au fourreau. Il tourna les talons et se
précipita au-dehors en refermant si violemment la porte qu’une vitre en fut
fêlée.
Le
sourcier n’avait pas perdu son temps. Il avait attaché les deux bêtes de somme
aux anneaux du montoir et il était déjà là-bas, au milieu de la pelouse, sa
baguette de coudrier bien en main en train de trianguler le terrain. Il marchait
avec la solennité spéciale des mystificateurs en train d’opérer. Il marchait
les yeux fermés et cependant il avançait droit vers l’arbre, étonné lui-même
que la baguette qui volait dans ses mains eût été si vive à réagir. Il avait du
mal à la retenir d’exécuter la parabole qui indiquait le lieu où un élément
diffèrent du sol ambiant se trouvait enfoui.
— Ce
doit être là ! dit-il en frappant de sa chaussure contre le sol.
Il leva
la tête. Le sommet du chêne lui donnait le tournis. Jamais il n’en avait vu un
d’une telle hauteur.
— Alors ?
dit le hussard qui l’avait rejoint. Tu es sûr que c’est là ?
— Sûr ?
Le
rhabdomancien prit l’air rêveur.
— Sûr
que c’est sûr ! dit-il.
Il en
était lui-même abasourdi. Le hussard le secoua.
— Et
alors, imbécile ! c’est sûr ou ça l’est pas !
— Ça
l’est mais ce trésor…
Il secoua
la tête.
— Il
n’est pas monnayable, dit-il.
Gaussan
l’aîné entra dans une colère épouvantable.
— Comment
ça, n’est pas monnayable ! Je te ferai fusiller si ça ne l’est pas !
L’Empereur n’a pas besoin d’un trésor qui n’est pas monnayable !
Il
s’engonçait dans sa colère. Il en éructait. Soudain il lui vint une idée. Il
pensa aux Magnan. L’un était vieux garçon mais l’autre avait six enfants et une
femme robuste. Il fallait les réquisitionner, L’aîné des Gaussan remonta à
cheval et fonça vers Pitaugier.
Comme
tous les jours d’hiver où les intempéries empêchent le travail, les Magnan
étaient les mains ballantes autour de la cheminée à chauffer leurs doigts
inutiles.
Gaussan
ne prit pas la peine de frapper, il poussa le vantail de bois qui coinçait. Il
l’enfonça presque.
— Alors ?
On fout rien ? éructa-t-il. L’Empereur a besoin de vous !
Ils
s’étaient tous levés, les Magnan, abasourdis. Ça faisait une troupe, d’autant
que la femme elle-même faisait un volume à peu près égal à deux hommes. Elle
avait un gros visage vermeil, des seins qui remontaient jusqu’aux épaules. Elle
avait fait huit enfants car l’envie de se perpétuer n’appartenait pas qu’aux
nobles en ces temps-là. Les manants aussi étaient frappés de cette malédiction.
Tous ces Magnan étaient tout en muscles, y compris la fille qui avait des yeux
immenses mais qui n’exprimaient rien.
— Vous
allez me suivre, dit-il, j’ai besoin de faire sauter un arbre et de fouiller le
terrain !
Ils
savaient tous que cet agité était le frère de Sensitive. Ils avaient tous
entendu parler de ses exploits pendant les batailles de l’Empire. À Mane, il
faisait figure de héros.
Pour le
commun des mortels sous l’Empire, un uniforme chamarré porté par un homme
l’épée au côté et pistolet au baudrier tenait lieu d’autorité de commandement.
Il n’était pas question de ne pas obtempérer.
Toute la
tribu Magnan surgit donc hors de la maison poussée par le baron Gaussan. La
panoplie blasonnière dont Bonaparte avait affublé sa cour cachait parfois les
armes de la vraie noblesse sous une particule de pacotille. C’est ce qui était
arrivé au marquis Pons de Gaussan.
La petite
troupe arriva au croisement de Mane où Gaussan l’avait arrêtée.
— Vous
tous allez m’attendre au château, sous l’arbre !
Il
faisait signe à Antoine de le suivre.
— Vous !
vous allez m’accompagner jusqu’à la poudrière de Forcalquier. J’ai un ordre
signé de l’Empereur d’avoir à m’emparer d’elle. Et j’ai besoin de votre
Weitere Kostenlose Bücher