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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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pour aller livrer mon Baume
Félicien dans toutes les épiceries des Basses-Alpes et même chez quelques
pharmaciens où l’on riait beaucoup de mon orviétan tout en le vendant sans
barguigner car je faisais quinze pour cent de ristourne.
    On se
souvient qu’à la suite de la tragédie que j’ai relatée [6] je suis devenu l’époux
d’Aigremoine de Gaussan, dernière descendante du nom de Pons gagné au XII e siècle devant Antioche.
    Bien que
ce nom, au siècle dernier, ait été entaché de bâtardise comme en attestaient
les armes du blason biffé en diagonale, il prit fantaisie à mon épouse de me
faire noble à mon tour.
    Elle y
employa auprès des ayants cause toute son énergie qui était grande. Sa face
martyrisée qui faisait baisser les yeux aux plus braves, sauf à moi, ne laissa
pas non plus d’être un atout dans l’entreprise.
    En tout
entretien, elle s’asseyait de profil devant son interlocuteur, à la lumière des
fenêtres ou, si c’était le soir, à la clarté des lampes à pétrole, lesquelles,
avec leurs ombres portées, rendaient encore plus épouvantable l’aspect de son
front, sa joue, son cou, le coin de son œil et son oreille, recroquevillés
jadis par les vapeurs de soufre auxquelles elle avait soumis sa beauté.
    Il était
rare que l’interlocuteur, si tatillon qu’il fût, prolongeât plus de dix minutes
l’entretien sollicité. Devant le malaise insoutenable qu’inspirait sa face
ravagée, les objections tombaient à la hâte et on la reconduisait jusqu’au
vestibule avec d’autant plus d’honneurs qu’alors on ne voyait plus devant soi
que le balancement de ses hanches royales, lesquelles n’avaient reçu aucune
injure.
    Je fus
donc comte à la mort du père d’Aigremoine, laquelle ne tarda guère, soit par
déplaisir d’avoir été battu aux élections, soit pour avoir donné consentement
au mariage de sa fille unique avec un histrion tel que moi.
    En revanche
Hilarion, son valet, transféra aussitôt la vénération qu’il portait à son
maître sur mon insignifiante personne. Il n’y eut qu’un individu que la chose
blessa. Ce fut mon éternel ennemi, le docteur Pardigon.
    Nous nous
croisions tous les matins chez Chasteuil, notre journal à la main. Lui, qui se
targuait d’être socialiste, lisait Le Petit Provençal, et moi Le
Petit Marseillais , parce que, depuis mon accession à la noblesse, je
m’étais laissé accroire que j’étais de droite.
    Dès qu’il
connut mon nouveau titre, Pardigon n’omettait jamais de m’exprimer sa dérision,
soulevant son chapeau ostensiblement et susurrant un « Bonjour, monsieur
le comte » qui exprimait furieusement son regret de ne pas l’être.
    Il avait
une autre raison de ne pas m’aimer. Je me déplaçais désormais, de Gaussan à
Forcalquier, dans un nauséabond quadricycle à pétrole De Dion Bouton laissé en
héritage par Beau de Rochas, un Dignois dont j’avais soulagé les douleurs en
son vieil âge.
    C’était
une sorte de génie qui avait passé sa vie dans les épures grasses de ses
inventions car celles-ci concernaient la mécanique et la mécanique a toujours
eu besoin de cambouis.
    Mon
regretté cheval Cinabre avait été remplacé par un hongre bonasse, dur au
travail et peu communicatif. La première nuit qu’il passa à l’écurie avec cet
objet sale et qui fleurait le pétrole lampant, il s’en écarta le plus loin
possible avec ostentation et retroussant les babines. Par la suite, chaque fois
que l’odeur chaude du moteur refroidissait en quelques mystérieux craquements
dus au métal rétrécissant, mon hongre manifestait sa désapprobation par un pet
retentissant.
    Chaque
matin, en allant chercher mon journal, je me consolais de cet ostracisme,
cueilli par la haie d’honneur de quelques gamins enthousiastes qui
m’applaudissaient en haut de la côte de Mane et me poussaient en chœur parfois
quand le moteur s’étouffait. Ils se rapprochaient le plus possible de l’orifice
des tuyaux d’acier sous la machine pour humer avec délices et les yeux fermés
l’odeur qui s’en échappait, laquelle paraissait les enivrer.
    Mais ces
petites satisfactions de vanité ne me faisaient pas oublier qu’Aigremoine
n’avait pas encore retrouvé son sourire ni son sale caractère. Je n’étais pas
capable de me mettre à sa place pour ressentir comme il fallait cette
flétrissure d’inceste qui lui causait tant de misère et, dans le souvenir du
corps, lui laissait tant de regrets.

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