Chronique d'un chateau hante
pour se réchauffer,
faisaient de longues glissades le long des corridors et détalaient et
remontaient le grand escalier à fond de train, Palamède était monté au premier
étage contempler l’arbre dont sa mère lui avait tant parlé. Il paraissait plus
gigantesque encore d’être nu pour l’hiver, dépouillé de ses feuilles. La
structure noire de ses branches maîtresses lui donnait, par son équilibre,
l’aspect invincible d’un guerrier de légende.
En
glissant son regard hors de cette vision, Palamède eut l’impression d’être
reporté dix ans auparavant. Dans l’estompe brumeuse de la grande allée, un
cavalier s’avançait au pas, lentement. L’homme et le cheval avaient tête basse.
Palamède
s’imagina petit enfant, le nez sur le dernier carreau de la fenêtre où sa
taille parvenait à peine, quand il avait vu son oncle glorieux, tout chamarré
de rouge et or et le cheval blanc piaffant d’impatience d’aller se faire mettre
les tripes au soleil sur quelque champ de bataille.
Aujourd’hui
c’était toujours son oncle mais le cheval n’était plus le même. Il était gris
sale, l’oncle avait la même prestance qu’autrefois mais les moustaches aussi
étaient grises où quelques minuscules flocons de neige restaient accrochés.
L’uniforme
autrefois rutilant était désormais éteint pour avoir trop servi. Le plumet
arrogant jadis avait diminué de moitié et il ployait, ayant accroché lui aussi
le peu de neige qui tombait. Il manquait un bouton au dolman de la mort dont
les zébrures figuraient le squelette du thorax de l’adversaire. Les épaulettes
avaient terni comme l’ensemble de l’uniforme.
L’homme
qui mit pied à terre au bas du perron, si sa souplesse à descendre de cheval
était toujours élégante, et si sa morgue était intacte, avait néanmoins pris
sur ses rides les traces du destin qui l’avait abattu.
Il
pénétra en coup de vent par la grande porte vitrée à laquelle il administra une
talonnade. Sensitive, qui s’était levée à son entrée, n’eut même pas le temps
de l’accueillir gracieusement.
À sa
suite, un homme informe et tassé chevauchait une bédoule. Celui-ci suivait
étroitement le cavalier comme s’il se dissimulait derrière lui. Quand il vit le
hussard entrer en bousculant la porte, il immobilisa son âne et se courba plus
encore vers l’encolure.
— Ma
sœur, dit le hussard sans ambages, l’heure n’est pas à nous faire des
civilités ! Il m’est revenu aux oreilles hier à peine, par notre frère
l’évêque que j’ai vu à Embrun, que vous dissimuliez un trésor dans le parc du
château !
— Je
ne dissimule rien du tout ! s’insurgea Sensitive. S’il y en a un, je ne
sais même pas où il est et de toute façon je suis maîtresse ici et rien ne vous
y appartient !
— À
moi non, encore qu’il faudra voir ! Mais à l’Empereur si !
— L’Empereur ?
Mais je le croyais à l’île d’Elbe !
— Justement
il n’y est plus ! Je l’ai quitté ce matin à Malijai où il a fait étape et
je suis accouru pour faire fouiller le parc ! L’homme qui attend dehors
est un sourcier. Il aura tôt fait de découvrir le lieu où se cache le
trésor ! L’Empereur a besoin de beaucoup d’argent pour reconstituer son
armée et reprendre la guerre !
Il disait
l’Empereur avec emphase. On sentait bien que dans l’esprit de son adorateur, la
seule grandeur du personnage résidait en son titre que ses vainqueurs, naïfs
magnanimes, avaient bien voulu lui conserver. Il ne faisait en cela que suivre
la marée montante que soulevait Napoléon à mesure que la nouvelle de son retour
s’étendait foudroyante autour de lui. Même à Mane il y en eut qui partirent à
cheval pour aller lui rendre hommage ; des pères de conscrits de
1812 ; les maris des pauvres femmes orphelines de leurs propres enfants
vinrent pieusement apporter leur adhésion à celui qui les avait fait tuer, et
l’orgueil écrasé du Bonaparte plombait le visage de tous les Français comme si
c’eût été le leur.
— Demain !
déclamait le trublion déguisé en hussard, j’aurai levé deux cents volontaires
pour déterrer ce trésor et le mettre aux pieds de l’Empereur !
Les
enfants pleuraient à l’entendre, Sensitive et Christine les serraient contre
elles, terrifiées elles aussi par cet éclat. Le hussard avait dégainé son sabre
et l’animait de grands moulinets dans l’espace.
Palamède,
qui suivait la scène du
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