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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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les cheveux
en lui parlant doucement. Aigremoine avait peur de l’orage, mais Julie et moi
possédions un vulnéraire sûr contre son état. Il nous suffisait de l’encastrer
entre nous. Elle était là bien au chaud et nos deux corps, à Julie et à moi,
embrassés au-dessus d’elle, lui interdisaient de penser.
     
    À six
heures du matin je fus réveillé par le bruit de la pluie. Elle tombait comme
une malédiction avec le tempo très rapide d’une rage contenue. Je me glissai
comme je pus hors des deux femmes endormies et fonçai vers le garage. Hilarion
m’y attendait déjà. J’étais surpris de le voir là.
    — Si
monsieur le comte le veut bien, j’accompagnerai monsieur le comte à la messe,
me dit-il.
    — Mais
il pleut ! lui dis-je, et je n’ai pas de capote.
    — J’ai
un grand parapluie de berger. Et il nous sera fort utile pour abriter monsieur
le comte.
    Je ne
comprenais pas pourquoi il tenait tant à m’accompagner et je l’admirais de le
voir garder en toute circonstance ce sang-froid cérémonieux. Il atteignait
soixante ans et il y en avait quarante-cinq qu’il était au service non pas des
châtelains mais du château.
    Des
traînes de nuages lourds entouraient Mane et sa citadelle. Sur le pont de la
Laye je fis arrêter Hilarion qui conduisait. Le torrent passait boueux et les
baignoires naturelles qui le parsemaient étaient effacées par le courant. Au
village tout était intact, même les fils électriques qui depuis peu
l’enlaidissaient. Seul le rempart nord de la citadelle s’était effondré sur
plus de quarante mètres.
    Forcalquier
de même me parut intact, sauf qu’il n’y avait que quelques chiens dans les rues
et trois boulangers sous le porche des cordeliers, le mégot inamovible aux
lèvres et qui arboraient l’air incompréhensif. Ce désert me parut suspect. La grosse
cloche appelait les fidèles. Sous Clastre-Vieil, elle était assourdissante. Je
poussai le vantail de la petite porte à mon habitude. Et alors je compris
pourquoi Hilarion avait tenu à m’escorter. Il avait peur.
    Il n’y
avait pas l’espace d’un papier à cigarette pour un fidèle de plus sous la vaste
nef de Saint-Mary où d’ordinaire nous n’étions jamais plus d’une douzaine. Tout
Forcalquier s’était replié frileusement sous l’aile du Seigneur. Tout le monde
avait enregistré ce que c’était qu’un séisme. Le tremblement de terre avait
réveillé le tremblement des hommes. Il leur était plus aisé de regarder en face
leur propre mort que la disparition sous leurs pieds du sol originel où ils
comptaient bien que leur descendance célèbre leur souvenir pour les siècles des
siècles. Voir emporter l’avenir de l’espèce dans les débris de la matière
désagrégée leur était plus inconcevable à envisager que, pour bientôt, leur
résolution en pourriture.
    Je vis en
cette église, s’efforçant malgré tout de se dissimuler sous leur casquette
timidement enlevée et tête basse, nombre de mes compatriotes qui hier encore
proclamaient hautement leur impiété.
    Quand je sortis de l’église pour chercher le journal comme chaque jour,
il n’y en avait plus dans l’antre des Chasteuil. Je dus aller m’asseoir à la
terrasse du café du Bourguet pour en prélever un, en buvant le café, dans le
porte-parapluies qui en contenait six sur des bâtons à lire. La première page
du Petit Marseillais était barrée d’un titre noir qui tenait toute la
page.
    60 morts 240 blessés
    C’était
le bilan provisoire du séisme. Quelques photos très noires, prises au
magnésium, accompagnaient les articles. Mais le journal avait été trop modeste.
Trois jours plus tard il y avait six morts de plus des suites de leurs
blessures et un ouvrier maçon qui fut enseveli sous les décombres d’une église.
    La troupe
vint enterrer les morts. Là-bas à Gardanne, à Lambesc, au Puy-Sainte-Réparate,
à Saint-Cannat, à Venelles où le clocher s’inclina pour toujours, la troupe
qu’on avait dépêchée se trouva aux prises avec un sol en décomposition où les
bottes devaient s’arracher de la boue en les tirant à la force du poignet.
    Des
masures de pauvres s’en allèrent éparpillées, en poussière, fondues,
déliquescentes, laissant les habitants nus et crus, ne sachant où aller. Même
ceux qui n’avaient pas de morts à déplorer en pâtirent. Des amours dérisoires
mais bien réelles s’écroulèrent, se dissolurent au courant de la boue en même
temps que les

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