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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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bruit et m’esquivai hors du lit
où les deux femmes dormaient encore.
    J’allai
comme d’ordinaire ouïr la messe du curé Sicard. J’y ajoutais, depuis peu,
l’hommage à la statue sulpicienne de Sainte Thérèse dont le culte récent avait
enrichi le martyrologe. Elle avait dit qu’elle ferait tomber une pluie de
roses. Je lui vouai un cierge tous les jours.
    Il
faisait un matin d’été extraordinaire où les pépiements d’oiseaux dans les
arbres exprimaient la joie de l’innocence comblée.
    Dominant
le village, la silhouette de la citadelle des Pons de Gaussan dressait sa masse
toujours un peu plus délabrée chaque jour.
    Arrivé au
pont sur la Laye, je vis, penchés à basculer, trois paysans qui contemplaient
avec beaucoup d’attention le lit de la rivière au-dessous d’eux. En cet
endroit, c’est une succession de cuves creusées dans le calcaire par le torrent
au cours des âges. Ils étaient là, penchés jusqu’à mi-corps, n’en croyant pas
leurs yeux. Le bruit de ma voiture pétaradante leur fit lever le nez. Ils
m’adressèrent de grands signes d’invite. Je coupai le moteur et mis pied à
terre. Ils faisaient cercle autour de moi. Ils parlaient tous à la fois.
    — Vous
avez vu, monsieur le comte ? On a jamais vu ça ! Le lit de la
Laye : il n’y a plus d’eau !
    À cette
annonce, je ne m’affolai pas outre mesure. Nous avons des rivières qui prennent
leur source dans les fonds de Lure où toute l’eau s’en va vers le Vaucluse. Ce
n’est qu’au gros de la saison des pluies que le surplus parcimonieux veut bien
nous être accordé.
    En bas
dessous, les trois Manarains contemplaient d’un air stupide les marmites
creusées dans le calcaire où ils avaient coutume de se baigner. Elles étaient
vides.
    Je suivis
des yeux le lit paisible de la Laye. Il rutilait de sécheresse comme la mue
scintillante d’un serpent. Le même fond écailleux s’étendait de part et d’autre
du pont. On voyait encore s’échapper entre les galets une eau qui paraissait
s’évaporer à mesure. On eût dit qu’un buvard gigantesque avait absorbé la
moindre goutte. Les trois drôles qui s’étaient déshabillés sous les saules et
s’offraient tout nus au soleil étaient maintenant pantois et ridicules devant
cette rivière sans eau.
    Je ne
m’attardai pas à ce spectacle. Les trois paysans me regardèrent partir à
regret. Connaissant ma réputation de guérisseur, ils attendaient de moi
l’explication de ce mystère, mais j’étais bien trop préoccupé par le mien
concernant Aigremoine pour me soucier d’un autre.
    Ma
journée se passa à préparer mes flacons de baume pour les livrer dans la
semaine en quelques points de vente et pour Aigremoine à étriller son cheval et
aller courre les bois d’Asson avec lui. Elle avait maintenant suffisamment
oublié Zinzolin pour avoir envie de retrouver les sentiers où les passages du
cheval secouaient l’odeur des buis mouillés.
    Le cancer
est une curieuse maladie qui tue en plusieurs épisodes, chacun d’entre eux vous
laissant un peu plus entamé, un peu plus délabré, un peu plus érodé. Il
s’avance masqué. Des jours entiers, parfois des semaines, il peut laisser place
à l’espérance, vous faire accroire qu’il vous a oublié. Cette étrange maladie
qui semble naître en nous pour nous remplacer, mettre son volume à la place du
nôtre et qui cependant meurt aussi et tombe en poussière en même temps que
nous, impuissante à nous survivre, est comme une pieuvre qui rétracte ses
tentacules sitôt qu’on lui en coupe un, sachant qu’il repoussera bientôt, ce
qui lui permet de décrocher facilement sans combattre. Ce n’est pas un taureau
qui fonce, un éclair que vous pourfend, le remous soudain d’un torrent qui va
vous engloutir. À l’abri de votre corps intact, la chose est paisible,
raisonnable, vit au rythme de votre pendule interne, comme un danseur s’adapte
à sa cavalière.
    Le
docteur Joubert avait coupé un tentacule de la bête. Elle s’était retirée dans
ses retranchements, tapie loin à l’intérieur de l’être, capable de laisser
saine presque toute la structure de l’individu (de quoi au moins le tenir
debout parmi ses semblables) mais embusquée comme un souvenir au sein du
cerveau, ou du bulbe rachidien ou de telle autre région du corps,
indiscernable, ne faisant pas de bruit, et toujours indolore.
    Ce fut le
moment où Aigremoine eut l’impression que le docteur Joubert avait expulsé

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