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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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maisons. Des gens hurlèrent les mains sur la tête pendant des
jours sur leurs habitudes perdues : tantôt c’était un chat gras à lard et
paisible qui meublait l’hiver de gens qui n’avaient que ça ; un chien sur
lequel on comptait pour lever quelque gibier à l’automne suivant ; des
chouettes qui ululaient pour l’amour de Dieu la nuit dans les trous de murs et
qu’on n’entendit jamais plus ; la source, parlant en douce et qui cessa de
meubler les soirs des vieilles prenant le frais devant leurs portes sur des
chaises dépaillées ; les voisines enfin, depuis un demi-siècle unies et
qui ne se retrouvèrent plus que deux là où elles étaient cinq.
    Mais
avait-on le temps de s’occuper de ces minables bonheurs ?
    Il plut
comme il sait pleuvoir en nos pays secs. Le solstice n’eut pas de torches et le
passage à l’été fut cette année-là enseveli sous la pluie. Il plut pendant
treize jours sur ce désastre, sans discontinuer mais avec hargne, comme pour
achever de détruire les ruines.
    Le
Luberon était noir. Il plut aussi sur les houppiers des arbres écrasés sous le
poids des averses. Là-haut sur le plateau d’Haurifeuille dont l’étendue était
maintenant visible depuis que notre arbre s’était abattu, le bois de cèdres
d’Ardantes pleurait affaissé sous les rames basses.
    Les
façades étaient noires comme le Luberon. Il n’y eut pas vingt maisons dans tout
Mane et dans tout Forcalquier où il ne fallût, dans les greniers, installer en
toute hâte les seaux, les bassines, les brocs, les pots de chambre pour pallier
les gouttières des toits. Les gens écopaient dans les caves inondées ; les
quelques rares pompiers avec leur pompe à bras n’y suffisaient pas.
    Un
grondement audible qu’on devait percevoir une fois par siècle s’immisçait par
le défilé de Roche-Amère jusqu’au château. C’était nos deux torrents
dérisoires, le Largue et la Laye qui s’affrontaient au confluent en des vagues
d’un mètre de haut.
    Je dus me
contenter de regarder de loin par une fenêtre le chêne abattu. La masse de
terre et de déblais qu’il avait entraînée dans sa chute faisait un tumulus de
quinze mètres de haut. La pluie ruisselait sur le tas hétérogène mal visible,
creusant des rigoles dans les matières plus légères, révélant les contours des
autres, mais à distance il était impossible de distinguer les détails.
    Un matin,
par les interstices des volets, le jour me réveilla. Le clocher de Mane sonnait
cinq heures. Il sonnait dans de la ouate comme au long réveil d’un déluge,
comme s’il avait courbé le dos sous l’averse pendant treize longs jours et
qu’enfin il pût s’exprimer. Je me levai, sortis de la chambre sur la pointe des
pieds pour ne pas éveiller mes deux femmes.
    Je mis le
nez dehors sur le perron. Les deux chevaux à l’écurie hennissaient
discrètement. Le palefrenier n’était pas levé. Ils avaient faim. Je décidai
d’aller garnir leur râtelier. La place vacante de l’arbre qui sortait de
l’ombre était toujours aussi désespérément vide, ouvrant une large brèche dans
les bois compacts d’alentour.
    Ce fut en
sortant de l’écurie que le ciel attira mon attention. Je levai les yeux.
L’horizon se déchirait. Un archipel de nuages joueurs couleur cyclamen
s’inscrivait au levant couleur indigo. Il poursuivait vélocement un énorme
continent noir de cumulo-nimbus, lesquels occupaient encore un quart de
l’espace par leurs enclumes en déroute. Et soudain alors, là-bas, sur les
montagnes de Barcelonnette, ce fut l’été.
    Le sol
était ferme sous mes pas, tant dans les allées que dans les prés. Une brise
avant-courrière avait dû souffler toute la nuit et ressuyer le sol. Elle
sévissait encore dans le feuillage intact de l’arbre horizontal. Je me déplaçais
lentement.
    Comme je
faisais avec Aigremoine de peur de l’éveiller, je m’approchai du chêne abattu
sur la pointe des pieds. Ses houppiers s’étaient écrasés branche sur branche en
un amas si épais qu’on ne pouvait pas le contourner, d’autant qu’ayant éraflé
sur une longueur de trois mètres l’angle aigu de la façade est, l’obstacle
ainsi rassemblé était infranchissable.
    Je
méditai profondément sur la nature du chagrin que j’éprouvais. L’arbre avait
beau être toujours aussi majestueux même horizontal, biffant le grand pré nu et
ayant anéanti vingt mètres de l’allée de buis taillés, maintenant il

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