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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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était
mort.
    Cinq cent
soixante ans de patiente croissance n’avaient pu empêcher la destruction
finale, car ce n’était pas un végétal abattu qui gisait autour, au loin et
au-dedans de moi comme une mauvaise herbe qu’on arrache. C’était un cadavre.
    Je ne
pouvais quitter du regard ce témoin du temps qui passe avec ces initiales
gravées par Julie pour faire connaître nos trois noms à la postérité, mais il
n’y avait plus de postérité.
    C’est à
ce moment-là qu’à travers la masse compacte des branches fracassées un signal
lumineux tira mon regard vers le tumulus que formait l’arrachement au sol de
l’arbre déraciné. C’était un scintillement semblable au reflet du soleil dans
un miroir mais coloré comme un arc-en-ciel. La chose était minuscule mais mille
fois répétée. Le soleil venait d’apparaître sans une brume, net et clair mais
presque horizontal. Entre le Serre de Montdenier et la tête de l’Estrop, il
venait d’illuminer tout ce que je pouvais voir de mon pays, depuis le sommet de
Lure jusqu’aux premiers contreforts des Alpes qu’il caressait en friselis.
Pendant ce temps, la scintillation sereine qui avait attiré mon regard se
déployait en étincelles de lumière. Sur son socle immatériel partant de l’arbre
détruit, le prisme ruisselait parmi la forêt jusqu’à la grande cédraie
d’Ardantes. C’était une frairie de soleils multipliés qui prenait naissance sur
les restes du chêne martyrisé. Des parcelles de métal étincelaient d’une manière
incompréhensible parmi ce monticule de sol bouleversé haut de quinze mètres,
hirsute de racines éclatées qui avaient cédé comme cassées sur un genou énorme,
figurant des épées acérées, pointues, en aiguilles et qui dardaient vers le
ciel leurs dérisoires menaces.
    Et
soudain, levant les yeux vers le sommet du tumulus, j’eus l’étrange vision d’un
attelage de bœufs sous le joug qui huchait hors des décombres, entraîné par un
courant immobile, cul par-dessus tête, englouti dans la terre comme noyé par un
naufrage qui aurait duré cinq mille ans.
    Cette
révélation incompréhensible captait le soleil dans sa matière et c’était elle
qui faisait miroir.
    Mais elle
n’était pas seule. Je découvris un, deux, trois quadriges semblables. L’arbre
dans l’enserrement de ses racines tentaculaires, au courant de six siècles,
avait broyé un obstacle dont il n’avait pu détruire les parties les plus
compactes mais qu’il avait aplati, désagrégé, mis en pièces, lui faisant perdre
sa substance et son aspect primitif.
    Les têtes
cornues des quadriges étaient parfaitement identifiables, nées d’hier, parmi
l’éternité, leur encolure de taureau exprimant la souffrance de l’effort (car
finalement, je décidais que ce n’étaient pas des bœufs mais des taureaux, je ne
savais pas pourquoi). Mais comment avait-on pu, même dans la nuit des temps,
accorder entre eux sous le joug deux paires de taureaux pour les faire
labourer ? Car je venais de comprendre. C’était ça qu’ils étaient en train
de faire : attelés d’une charrue rudimentaire que j’imaginais, ils
grattaient le sol pour l’ensemencer.
    Le
quadrige nettoyé par la pluie, le plus visible, soutenait la ruine d’un
chapiteau roman historié d’un saint du XII e siècle aux yeux vides et
la poitrine barrée d’une énorme clé. Celui-ci provenait à n’en pas douter du
couvent anéanti par les parpaillots au XVI e siècle. Toutefois le
quadrige qu’écrasait cette pierre taillée n’était pas de la même matière.
C’était du bronze ou peut-être même de l’airain.
    Ces
quadriges étaient éparpillés, fichés dans les décombres, à trois mètres les uns
des autres. Ce fut à cet instant que je me souvins de ce qu’Aigremoine appelait
ses dépouilles opimes, découvertes un soir d’hiver et dont l’énigme nous avait
tant intrigués. Je me remémorai les quatre dessins mystérieux dont l’un
représentait un chariot recouvert d’une bâche bleue ; un autre, un groupe
de nonnes toutes noires attelées à ce chariot et les deux crânes sous la
capuche et le drapeau en lambeaux roulé autour de sa hampe.
    Soudain,
j’eus une révélation. Je m’écriai tout seul :
    — Le
cartulaire !
    Je fonçai
vers le château. Je ne me serais jamais cru aussi véloce. Je gravis deux à deux
les trente-six marches du grand escalier. J’entrai chez les femmes en coup de
vent.
    Aigremoine
(je fus frappé

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