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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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et charnu et moi j’étais long et maigre.
On nous appelait Don Quichotte et Pança. Paul était toujours en train de
creuser, de fouiller la moindre voûte. Il prenait ça pour un souterrain et
s’engageait dedans et moi je le suivais. Le mystère était notre maître. Nous le
flairions partout, nous l’inventions. L’épouvante d’un vol silencieux de
chauves-souris veloutées ne nous gênait pas. Nous la recherchions. La moindre
dent de requin éparpillée sur le sentier depuis un million d’années nous
mettait en transe, jamais nous ne jouions aux billes, ni à morpion ni à macamié
(un jeu où se reconnaîtront seulement ceux qui s’y sont mesurés), mais nous
allions traquer au cimetière, à minuit, les feux follets que nous jugions être
les âmes des morts et que nous ne vîmes jamais. Pourtant, à neuf ans, les âmes
des morts nous paraissaient familières et certaines. Elles s’élevaient
au-dessus des tombes, conversant de l’une à l’autre, des récoltes et du temps
qu’il faisait et qui passait. Nous les appelions par leur nom : « le
Fourneyron de Cassagne, le Mangeo-Mousco de la Croupatassière ». Nous
connaissions tous les patronymes inscrits sur les tombes.
    C’était
le Paul qui m’avait appris à lire, au clocher du Soubeyran, les heures
inscrites au cadran en chiffres romains.
    À seize
ans, les coups de pied au cul que son père, capitaine des pompiers et éducateur
de premier ordre, ne lui ménageait pas pour lui enseigner le métier, l’avaient
incité à faire son Tour de France. En fait, on ne l’avait pas revu de six ans,
car, arrivé à Strasbourg, il n’avait pas pu se tenir. La France ne lui
suffisait plus, il lui fallait apprendre l’Europe. L’aventure s’était achevée
dans les Carpates en plein choléra.
    De retour
à Forcalquier, devenu un colosse trapu, il était hors de portée des coups de
pied au derrière que son père, admiratif devant ses connaissances nouvelles
(Paul parlait l’allemand et le moldave), ne songeait plus à lui prodiguer.
    Il
m’avait, dès mon avènement au château en qualité de gendre, servi de bonne
manière. Bien que se disant uniquement forgeron, il avait refait à l’identique
le jaillissement floral de la rampe en dentelle de fer qui accompagnait si bien
à Gaussan la volute du grand escalier.
    Pour
financer les campagnes électorales de feu le comte de Gaussan, l’original avait
été vendu à un antiquaire parisien et remplacé par un vulgaire garde-fou en
bois.
    J’arrivai
un jour devant la forge de Tempier en pente dans les remparts et qui
s’enfonçait sous Forcalquier jusqu’à l’âme de safre où il n’y avait plus besoin
de murs pour conforter l’antre. C’était une longue voûte où s’activaient trois
compagnons en bleu de chauffe et les lunettes noires relevées sur le front où
les éclats des chalumeaux allumaient des reflets de cyclope.
    Paul
était penché sur le gouvernail d’un moulin à vent dont il s’était fait une
spécialité. Il m’en avait dressé un notamment au milieu du grand pré pour
monter l’eau au château. Mon imagination d’enfant m’était restée et je vis tout
de suite chez mon ami Tempier, torse nu et penché sur son gouvernail, chalumeau
au poing, Héphaïstos forgeant le bouclier d’Artémis. Ce n’était pourtant que
l’un de ces moulins métalliques, élégants comme des demoiselles, qui
parsemaient toute la plaine de Manosque et toutes les vallées alentour de leur
bruit d’ailes de libellule.
    — Vé
le Féli ! me fit-il. Qué novi ?
    Il ne
m’appelait jamais Félicien. Il y avait trop de syllabes dans mon prénom à son
gré. Il releva le bec de son chalumeau et l’éteignit.
    — Qu’est-ce
qui t’arrive ? ajouta-t-il inquiet.
    — Une
chose extraordinaire, lui dis-je. Une chose… je peux pas t’expliquer. Il faut
que tu voies !
    Il ne me
posa aucune question supplémentaire. Il savait que si j’avais dit
extraordinaire c’est que ça l’était.
    Il donna
rapidement des directives à ses trois cyclopes et, sans même se laver les
mains, il me dit :
    — Je
te suis ! Je vais pas mettre le camion en route pour ça ! Tu me
ramèneras !
    Sur les
quatre kilomètres du parcours, il n’y eut entre nous que ces paroles échangées.
Tempier timidement :
    — Et
comment va ta femme ?
    Je ne
répondis pas, fis la grimace et, comme le docteur Pardigon et le chirurgien
Joubert, je fis aller ma main en éventail d’un bord à l’autre pour

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