Chronique d'un chateau hante
avait encore grande mine sous le chaperon écarlate. Quand
il se releva, il fut tout étonné de distinguer quelque chose du monde qui le
distrayait de sa contemplation de la foi. Il vit Lure pour la première fois de
sa vie et il s’aperçut que le ciel était bleu.
— « Il
est grand le mystère de la foi ! » prononça-t-il à haute voix.
Cette
phrase machinale et si souvent rabâchée, elle lui éclatait au visage telle une
révélation, elle l’éblouissait. L’espérance dont jusqu’ici il avait fait peu de
cas, rejoignait sa certitude et la complétait pour le baigner tout entier dans
une joie surnaturelle.
Quand il
se trouva devant le monastère des clarisses, il se fit un grand calme dans sa
conscience. Le lieu était extraordinaire. Devant soi au parvis de la chapelle
ouverte à tous, une grande étendue de pays se déroulait où la paix était
inscrite. La famine ni la peste ne sont des cataclysmes qui affectent la
nature. Dès après le passage des sauterelles et leur disparition, le temps et
le climat s’étaient remis en marche, imperturbables, et la nudité des plantes,
des arbres et du sol, les pluies et le soleil avaient eu tôt fait de les
effacer pour reconstituer la vision du monde telle qu’elle était auparavant. La
famine se poursuivit dans un jardin où simplement les fruits utiles aux hommes
avaient été stérilisés pour l’année.
La porte
du couvent était entrebâillée. Savornin s’aperçut qu’elle était bloquée par la
herse qui faute de graisse, ici aussi, s’était coincée dans son rail. Il en
conclut que la faim avait ravagé le monastère puisque le lubrifiant destiné au
coulissage de la herse avait aussi servi d’aliment. Il se glissa par
l’entrebail. Le cloître était désert. On entendait un gazouillis de prières
sous le déambulatoire. Aucun désordre ne troublait les eaux calmes d’un bassin
au ras du sol.
Savornin
s’avança jusqu’à la pièce d’eau qui marquait le centre du jardin ravagé par les
sauterelles lui aussi où des plants, en ce mois de mars, commençaient
timidement à verdir. Il y avait même une rose précoce sur un rosier décharné où
elle était seule pour s’unir à la brise.
Savornin
fit le tour de l’enceinte monacale. Derrière un pilier il vit dépasser une
coiffe immobile. Hors cet abri étaient visibles les mains fines qui tenaient le
Livre saint. Savornin dégagea sa tête de l’aumusse afin de se montrer tel qu’il
était.
— Pardonnez-moi,
ma sœur, dit-il. Je cherche la supérieure de ce couvent.
— C’est
moi !
Elle
s’était retournée si vivement qu’il dut s’agenouiller sous le choc. Il venait
de reconnaître le visage qu’il avait en mémoire : le portrait esquissé sur
la tablette trouvée au bord du Gaudissard, il n’y avait pas deux heures.
— C’est
donc vous ! s’écria-t-il, toujours agenouillé.
Il sortit
brusquement la tablette hors de sa robe et la lui mit sous les yeux. L’abbesse
eut un haut-le-corps.
— Où
avez-vous trouvé cela ? Est-ce vous qui l’avez dessiné ?
Il secoua
la tête.
— Je
l’ai ramassé en route, sur l’un des cadavres dont il y a quantité le long du
chemin.
Il disait
tout cela machinalement et elle lui répondait de même mais leur esprit était
dans leurs regards qui ne s’étaient pas dépris depuis que violemment elle lui
avait fait face. Elle se détourna tenant devant elle ce portrait saisi en
quelques secondes mais qui criait sa beauté de femme.
Ils
firent trois tours de cloître sans parler. Leur ventre gargouillait de faim et
il semblait qu’aucune autre pensée, qu’aucune autre envie ne pût les habiter,
mais il y avait longtemps, si longtemps qu’elle n’avait plus vu d’êtres humains
que décharnés, qu’en cadavres, qu’en assassins ou qu’en moribonds. La maigreur
ascétique de celui-ci, son visage sombre dévoré par la dévotion plus que par le
jeûne encore, la bouleversaient par l’implacable lucidité qui en émanait. Quant
à lui, il s’était attendu à rencontrer une douairière ravagée par l’âge, il
reçut en pleine figure l’image de la bonté de Dieu pour la créature.
Toute la
sainteté de leur vocation était tombée à leurs pieds. La pauvre vulnérabilité
de l’être imparfait s’imposait à leur conscience avec une évidence vengeresse
comme si l’orgueil qui les avait tenus debout jusqu’ici, bien assis sur leurs
certitudes, s’était effondré, les avait trahis. Ils
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