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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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d’Infidèle ne disait non plus rien qui vaille et
n’eût été sa robe et son scapulaire on l’aurait fui, se souvenant des bandes de
Maures lesquelles, depuis leur repaire de La Garde-Freinet, venaient parfois
jusqu’à Manosque, brandissant leurs cimeterres et boutant le feu aux granges de
la plaine.
    Il allait
à pied, le château n’ayant plus de chevaux et la ville étant incapable de
fournir le contingent exigé par la cense. Ses sandales claquaient sur les
pavés.
    À partir
de Pettavigne, des squelettes jonchaient par endroits les tournants du chemin.
Faute de main-d’œuvre on n’avait pu les enterrer tout de suite et, la famine
survenue, nul n’y avait plus songé.
    Tout au
long du col de la Mort-d’Imbert et encore sur la longue montée qui conduisait
chez les clarisses, Savornin ne cessa de réciter le Requiescat in pace ni de bénir les cadavres dont la position dans l’herbe et les broussailles
disait assez combien ils avaient regretté la vie. Savornin exerçait cette
fonction de son ordre, bénir les cadavres, sans émotion particulière ni terreur
ni chagrin. En dépit de ses vingt ans, il avait assez médité sur la mort pour
qu’il ne perçoive plus celle-ci que comme un simple truchement permettant
d’aller rejoindre le Christ à la droite du Père, et le monde, y compris les
arbres de la terre, les oiseaux, le ciel du levant où le soleil allait surgir
et la divine étendue de Lure devant lui ne lui apparaissait plus que comme les
jouets d’une illusion fallacieuse.
    Néanmoins,
juste après le gué du ruisseau Gaudissart, il tomba en arrêt devant une
dépouille curée de ses chairs mais dont le costume d’apparat esquissait encore
l’ombre d’un homme. La soie et le velours d’Italie avaient résisté plus
longtemps que les chairs.
    Pour
avoir perdu la matière souple dont la vie les avait dotés, les doigts de la
main avaient gagné une noblesse dépouillée aux yeux du témoin. Les phalanges et
tous les osselets, encore en place mais détachés les uns des autres, se
prolongeaient aussi par des ongles que le vent n’avait pas emportés. Sur cette
nacre vivante par sa nature, de petites taches de peinture se distinguaient qui
scintillaient au soleil.
    À côté du
gisant, une tablette de bois clair reposait sur un tapis sombre d’humus
décomposé. Savornin la prit en main et la retourna.
    C’était
une esquisse de dessin qu’on devinait peinte à la hâte pour faire comprendre du
premier coup d’œil ce dont il s’agissait. On y distinguait une théorie de
femmes hagardes, portant coiffe et flambeau au poing tremblant au vent. Elles
étaient attelées d’un véhicule qu’on distinguait vaguement au fond du
clair-obscur. Liées au fardeau par des courroies passées sur leurs épaules
saillantes et que tiraient leurs mains crispées, elles paraissaient défaillir
sous l’effort considérable qu’exigeait le poids de ce qu’elles traînaient
derrière elles.
    Devant
cette multitude hâtivement campée, une figure se détachait comme en abîme.
Celui qui l’avait peinte ainsi magnifiée s’y était attardé subjugué par le
regard glacial de ce visage angélique qui paraissait aux aguets d’un ailleurs
imprévisible ou redoutable.
    C’était
le portrait d’une chasseresse à l’affût quêtant une proie hors de ce monde. Les
reflets des flambeaux l’ocellaient de plaques sombres où le regard cerné
d’ombre se détachait splendide. Savornin éprouvait une terreur mystique car ce
visage était celui de ses affres nocturnes quand il luttait avec désespoir pour
préserver sa pureté. Celle qu’il n’avait jamais vue, qui n’existait pas, était
peinte là tout entière. On eût dit que l’artiste, ce n’était pas un vrai visage
qu’il avait croqué mais un autre volé dans l’imagination de Savornin et que
celui-ci ne connaîtrait jamais !
    Savornin
s’agenouilla auprès de la dépouille. Il venait de remarquer, entourant un
osselet, une bague à gros chaton où était gravée comme un soleil la Gorgone de
Gonzague, duc de Mantoue. C’étaient les restes de Lombroso, dit le Poverello,
dit le Mantouan qui ne pourrait jamais achever la descente aux Enfers au
plafond de San Andréa.
    Savornin
demeura auprès de cette dépouille mortelle plus de temps qu’il n’était
convenable. Il récita entière la prière des morts et resta les genoux dans le
gravier comme s’il voulait se mortifier. Il observa attentivement le long crâne
aux orbites vides qui

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