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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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bâti à la façon d’une église, par les derniers chevaliers
rentrant de Corcyre après la chute du royaume franc de Jérusalem. Ceux-ci
avaient élevé ce monument à ces morts dont nul ne se souvenait plus deux cents
ans plus tard, ni pourquoi ils étaient morts. Ils y avaient sué sang et eau,
tout seuls, en pénitence d’avoir plié contre les infidèles, ayant à peine
troqué l’épée contre l’oiseau [1] et la truelle, écartant dédaigneusement les corvées de paysans que leurs
vassaux leur dépêchaient. Plusieurs y étaient morts à la tâche, parmi les
roches mal taillées, transportées à dos d’homme pour élever les remparts.
Jamais aucun ennemi ne se présenta pourtant devant cette citadelle. Les bandits
et les cohortes belliqueuses passaient au large.
    Le
paysage extraordinaire que dominait ce château sans grâce et la luxuriance de
la nature qui apparaissait en quartiers à chacune des meurtrières avaient dès
l’enfance jeté Ermerande de Gaussan dans une dévotion éperdue pour le Créateur.
Elle avait compris que toute pénitence qui serait infligée à l’homme ne
paierait jamais assez les splendeurs qu’il lui avait permis de contempler un
court instant. Elle désira le servir de toute son âme. On ne vit plus qu’elle
dès le matin en la modeste chapelle de Mane qui ne pouvait contenir que peu de
fidèles vu son exiguïté.
    Il se
révéla très vite d’ailleurs qu’elle était elle-même une de ces splendeurs. Afin
sans doute que pour tous ceux qui la voyaient la tentation fût à la mesure du
sacrifice et du regret qu’elle suscitait, l’abbesse des clarisses avait été
dotée d’une beauté éclatante, une beauté de vive santé, de vif équilibre et que
ni les jeûnes volontaires ni les privations dues au malheur des temps ne
pouvaient altérer. Elle fut blonde en ce pays de brunes et son miroir lui
révéla bientôt qu’elle était merveilleusement faite pour le siècle. Nue et
contemplant son reflet, elle comprit tout de suite que son corps et son esprit
étaient incompatibles. Elle avait quinze ans lors de cette révélation et son
orgueil lui dicta qu’elle devait passer outre, et incontinent elle courut vers
son père le supplier de la laisser entrer au couvent.
    À
Gaussan, sur une terre qu’il possédait, le comte Pons avait fait édifier sur
l’ordre de la reine Sancie des Deux-Siciles le monastère voué à Sainte Claire.
    Mais
quand l’abbesse fut enfermée au milieu de ses sœurs, sous le joug de la règle
rigoureuse qui ne laissait pas de répit dans la journée entre le travail, les
offices et la faim, elle fut aux prises avec la nuit. Elle croyait bien
pourtant que son corps exténué n’aspirerait qu’au repos mais il arriva que,
lasse d’être solennelle, la nature ait eu envie de rire un peu. Elle dressa
devant l’abbesse un obstacle à la pureté dont celle-ci ne connaissait même pas
la nature.
    Malgré
qu’elle en eût et livrée sans défense au sommeil, ses rêves étaient
délicieusement lubriques et ne souffraient pas d’atermoiement. Elle se
réveillait dans les spasmes d’un orgasme libérateur qui la laissait sans force,
les mains jointes sur le pubis et la prière inutile expirant sur ses lèvres.
    Ainsi
donc Ermerande et Savornin étaient égaux dans la foi absolue et les affres de
la tentation.
    Quand
Savornin se mit en route ce matin-là, c’était le 23 mars, jour de l’an car le
concile de Latran, autrefois, avait fixé cet avènement du printemps pour le
premier jour du calendrier.
    Quoique
les clarisses fussent de saintes filles, ça n’était pas sans répugnance que le
jeune homme s’était décidé à quitter sa cellule pour aller rencontrer la
prieure. Pour lui, toute femme était objet de tentation et donc d’éloignement.
Ce n’était pas sans raison non plus car il tenait bien à l’abri dans ses
manches le cartulaire qu’il avait trouvé sous la main réduite à l’état de
squelette de son prédécesseur. Ce billet était péremptoire et lui enjoignait
d’agir.
    Il sortit
de Manosque par la porte du Soubran. Le peu de vivants qui erraient encore de
par les ruelles s’écartèrent de lui comme s’ils avaient vu la mort. C’est que
son ascétisme rigoureux depuis que la famine y avait ajouté avait fait du
commandeur de l’ordre un spectre, mais un spectre flamboyant de dureté
chrétienne, comme si la famine était une prescription du ciel et qu’il en fût
la vivante expression. Sa tête

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