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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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murmurait des Ave Maria à n’en plus finir mais dont l’esprit inclinait de
plus en plus vers la chair, se trouva une dague abandonnée jadis par le donat
expirant, une dague encore brillante. Sans réfléchir, sans pensée, sans
volonté, elle referma les doigts sur le manche de l’arme pour en frapper le
commandeur, furieusement, une fois, deux fois. La dernière parole de lui
qu’elle l’entendit souffler en mourant, c’était :
« Merci ! »
    Elle
passa sa main sur la poitrine de l’expiré qui était douce comme celle d’un
enfant. Sa coiffe avait roulé au loin, affublant le crâne du squelette, qu’elle
rendait comique.
    La
prieure sortit de la crypte en titubant et boitant un peu. Elle regarda
derrière elle. Le souterrain était profond, elle le savait. Elle l’avait suivi
avec ses sœurs cette nuit terrible où la peste avait atteint son paroxysme et
où les deux donats qui restaient vivants avaient tenté de les exterminer
jusqu’à ce que la mort les prenne eux-mêmes. Elle se souvenait de cette nuit et
des nonnes toutes joyeuses qui s’efforçaient d’escalader le chariot pour
découvrir son chargement. Personne n’avait jamais plus eu envie ni loisir de
descendre dans cette crypte tant les malheurs s’étaient accumulés.
    La
prieure avait gardé dans sa main crispée l’arme qui avait frappé. Elle
parcourut la moitié du promenoir en claudiquant. Tassées, apeurées, les unes
contre les autres, les cloîtrées avaient dû se rapprocher, entendre les échos
de la bataille et maintenant elles étaient là, horrifiées, regardant s’avancer
vers elles leur prieure armée d’un poignard où le sang achevait de coaguler.
Maigres, misérables, ridées par la consumation de leur chair à force de famine,
elles étaient à genoux, en silence, la foi submergée par la faim.
    — Oui !
dit Ermerande avec force. Je l’ai tué ! J’ai tué le commandeur de l’ordre
de Jérusalem parce qu’il s’attaquait à ma foi !
    Au prix
d’un péché mortel en chassant un autre, la foi et la chasteté avaient gagné
dans le cœur d’Ermerande. Il ne lui restait plus qu’à faire devant ses sœurs la
confession publique de son tourment et de son crime. Elle exigea de se mettre
nue devant les converses assemblées. — Et jugez par vous-même, dit-elle,
que je suis telle que le Seigneur m’a faite ! Il eût fallu un miracle pour
me soustraire aux entreprises du commandeur car n’oubliez pas, dit-elle, que
moi-même j’étais encline à succomber ! Là où la prière instante n’a pas
suffi, où Dieu a refusé de m’entendre, il fallait bien à la fin que je décide
par moi-même. Et n’oubliez pas, surtout n’oubliez pas ! La tentation était
parée d’autant de charme pour moi que pour lui !
    Elle se
tut brusquement, leva l’index, laissa s’établir le silence. Elle répéta d’une
voix forte :
    — N’oubliez
pas ! N’oubliez jamais !
    Usant
leurs dernières forces, les nonnes creusèrent la fosse du commandeur à
l’endroit exact qu’Ermerande leur avait désigné : à l’aplomb même de la
crypte où le chariot et son fardeau étaient sous la terre depuis tant d’années
déjà. Elle interdit aux converses de jamais y aller voir.
    Dès que
les ravages des sauterelles furent réparés par le travail de toutes, au bout de
plusieurs saisons, Ermerande fit murer la crypte. Jamais elle n’alla elle-même
essayer de connaître la nature du symbole qu’autrefois elle avait ramené,
attelée au chariot, avec trente-cinq de ses sœurs dont elle était la seule
survivante.
    Sur cet
emplacement, elle fit planter un chêne et toute sa vie qui dura longtemps, elle
vint prier au pied de l’arbre qui croissait paisiblement, soulignant ce tombeau
d’elle seule connu.
    Elle
croyait avoir échappé à la géhenne par ce sacrifice mais la damnation la saisit
encore vivante. Ses nuits reçurent la visite d’une âme splendide et attirante
comme la chair même. C’était le commandeur qui réclamait son dû pour tenter
d’assouvir un regret éternel et pour rappeler à Ermerande combien l’enfer sur
terre aurait pu porter à son comble leur bonheur.
     

3
    Quand
messer Nicolas Arnaud dit le Mèche, petit seigneur sans presque de terres,
entendit, cette nuit de juin, soulever bruyamment le heurtoir de sa porte
cochère, ramassé autrefois sous la cloche brisée d’une chapelle, il sursauta.
Il était dix heures du soir sur Mane et sur Lincel. Sauf le calel à huile

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