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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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que plus aucun quadrupède n’était vivant pour
transporter d’un couvent à l’autre ce blé hypothétique.
    La
prieure de son côté avait la tête froide et peu de foi en les représentants de
Dieu sur la terre. Son estomac criait famine et celui qui lui tendait
l’espérance représentait l’appât le plus séduisant pour entrer en damnation. La
faim et l’amour se disputaient férocement son entendement.
    Savornin
la désirait et il avait pitié d’elle, et l’obéissance aux dernières volontés du
commandeur de Venteyrol le mettait au supplice de devoir mentir à la prieure
pour accomplir son devoir. Il lisait sur les lèvres et dans les yeux de son
adversaire ce qu’était son corps sous la robe austère et les ressources
infinies qu’il pouvait promettre et susciter.
    — J’ai
échappé à vos donats, dit-elle. Ils avaient probablement reçu l’ordre de
Venteyrol de nous passer par les armes ! J’ai réchappé par la grâce de
Dieu.
    — Je
vous…
    — Vous
me quoi ? dit-elle, s’arrêtant brusquement pour lui faire face.
    C’était
la première fois qu’ils ouvraient la bouche sur leurs sentiments intimes. Ils
étaient tout tremblants, de faim importune, de peur et d’une pulsion qu’ils
n’osaient même pas imaginer.
    Ils
marchaient machinalement vers le fond du cloître où s’ouvrait l’entrée
souterraine de cette crypte où nul n’avait plus pénétré depuis le drame.
    — Je
voudrais…, reprit le commandeur.
    — Je
sais ce que vous voudriez.
    Elle
faisait cette réponse ambiguë sans savoir elle-même ce qu’elle voulait dire.
Devant eux, la grille de la crypte, que nul n’avait plus ouverte depuis la
peste et depuis le drame, se dressait toute de fer rébarbatif, rouillée depuis
l’éternité. On ne savait qui l’avait un jour forgée, on ne savait quel mystère,
avant qu’on y dépose cet étrange équipage, elle avait abrité.
    Protégée
du jour par des impostes creusées à la naissance de la voûte, la pénombre
l’envahissait. La prieure les bras levés se saisit d’une torche éteinte.
Longuement, minutieusement, elle la ranima à la torchère de la Vierge qui
veillait dans sa niche à l’entrée du souterrain.
    — Venez,
dit-elle, nous verrons la sainte trouvaille tous les deux ensemble.
    Mais à
peine avaient-ils franchi dix mètres dans cette lumière incertaine que la
prieure trébucha. Le choc de la chute lui arracha le flambeau des mains.
Savornin fut sur elle à l’instant pour la relever. Pour la première fois, un
corps de femme épousait la forme du sien. La nonne se tenait le genou en
grimaçant de douleur. Elle était tombée sur le squelette d’un donat encore tout
armé. Elle s’était blessée contre les éperons inutiles que portait l’homme
d’armes. Ils étaient tous deux, la prieure et le commandeur, empêtrés parmi les
os de ce squelette, aussitôt disloqué dès qu’ils l’avaient heurté et dont le
crâne riait encore.
    Savornin
voulut arracher la prieure à cette horrible promiscuité. Elle était robuste,
musclée. Sous la robe soudain, il sentit un sein entre ses doigts. Celui-ci
était ferme. Il remplissait la main du prieur en toute indépendance, en toute
ingénuité, comme s’il n’eût appartenu à quiconque et n’aspirât qu’à sa fonction
première. Le prodigieux effet de ce contact qui promettait le bonheur fugitif
sur la terre, et contre lequel il avait tant lutté durant tant de nuits,
occulta la raison du commandeur. Il enveloppa la nonne comme une amante entre
ses bras. Elle se raidit. Sa conscience résistait de toutes ses forces et sa
foi était intacte. Il la saisit. Elle lutta en silence d’abord. Elle ne voulait
pas souligner l’acte par la parole qui lui paraissait encore plus sacrilège. La
torche éteinte, il ne restait que les impostes pour révéler un jour incertain.
    La pleine
connaissance du corps de la femme balayait maintenant tout amour du Christ dans
l’âme du commandeur. Lui, il avait oublié. Elle non. Il dénuda la prieure
jusqu’aux cuisses. Il lui criait qu’il l’aimait. Elle lui plaquait la main sur
la bouche pour ne pas entendre ce blasphème. Ils rampaient comme des bêtes sur
les ossements, l’une se dérobant, l’autre s’efforçant de saisir, de rapprocher,
d’étrenner le mystère qu’il pressentait. L’une sur le point de céder et l’autre
l’assaillant.
    Ce fut le
hasard qui décida de sauver une âme sur deux. Soudain sous la main de la nonne
qui

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