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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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avait plus que l’excommunication et il
fallait bien reconnaître que, depuis que le peuple n’était qu’une faim,
celle-ci avait laissé en route beaucoup de son pouvoir.
    Il
fallait aussi tenir en respect les carmes dissolus dont le couvent faisait face
à l’ordre et tel un memento mori lui faisait honte par leur impiété et
par leur incurie. Heureusement ils mouraient de faim encore plus que leurs
vis-à-vis. Ils n’avaient plus rien de vaillant, ayant à cœur de manger tout au
fur et à mesure des aumônes qu’ils recevaient et des rapines où ils
excellaient.
    Le pape
avait nommé Savornin de Valsaintes en dépit de son jeune âge (il n’avait pas
vingt ans) parce qu’il était d’usage dans l’ordre que le commandeur ait une
intelligence de l’âme supérieure à la moyenne. Aussi avait-il sondé en tête à
tête le caractère de ce cadet qui avait de la naissance. Ça n’avait pas été
facile. C’était le temps où Sa Sainteté était murée en son palais d’Avignon par
son médecin pour le préserver de la peste. Savornin fut donc passé à l’étuve,
parfumé d’angélique et de valériane, mis à nu, rhabillé avec d’autres
vêtements, avant d’être admis dans la ruelle de Sa Sainteté. Celle-ci eut un
haut-le-corps en le voyant paraître.
    — Il
a une tête et une prestance à être damné de bonne heure ! confia-t-il à
son camérier. Non ! Il ne fera pas l’affaire ! Je vais choisir le
bancal de Joucas que son cousin le duc de Sabran m’a tant recommandé ! Et
pourtant, celui-ci a l’âme basse !
    De fait,
quoique oint, ayant reçu les vœux et l’oblation, Savornin avait une tête de
Maure caractéristique, superbe, noble, hiératique. « Sa beauté, s’était
dit le pape, ne saurait appartenir, Dieu me pardonne, à aucun chrétien. »
    Toutefois,
Clément VI n’était pas homme à se fier à son premier mouvement. Il soumit
Savornin à la question morale. Il le retourna sur le gril durant les deux jours
qu’il le garda auprès de lui, en Avignon. Il trouva une âme inflexible, tout
habitée de Dieu et sachant rendre à César ce qui lui appartenait.
    Il ne se
leurra que sur un seul point : la dissimulation foncière dont Savornin
était capable, car le malheureux cachait à tous les démons de la chair qui le
taraudaient et il avait beau se mettre en prière sur la froide dalle de sa
cellule, cette lancinante obsession le poignait.
    De son
côté, la prieure des clarisses avait une réputation de dévotion intransigeante
qui la précédait partout. Son couvent avait beaucoup souffert des affamés et
des aumônes infinies qu’on avait consenties aux malheureux. Et maintenant,
c’étaient les sœurs qui pâtissaient. Elles travaillaient cependant et les
champs du monastère commençaient à verdir. On voyait ces pauvres filles
exténuées qui parfois se mettaient à trois pour unir leurs pauvres volontés
afin d’enfoncer la bêche dans la glèbe. Mais à force de patience et d’efforts
sans mesure et à coups aussi de tant d’Ave Maria, elles réussissaient à
ensemencer les terres du couvent afin de retrouver l’espoir.
    Heureusement,
elles étaient tenues dans les rigueurs de la règle par leur prieure qui avait
succédé à Scolastique Pons, disparue durant la peste. C’était une fille bien
née de la branche des Gaussan. Sa bisaïeule avait été dame d’atours de la reine
Sancie des Deux-Siciles, fondatrice de l’ordre et qui comptait une béate parmi
son ascendance, laquelle, pour n’être citée que brièvement au martyrologe, n’en
était pas moins considérée comme sainte dans sa famille.
    Elle
avait été nommée à seize ans à la tête des clarisses de Gaussan sur la
recommandation du merveilleux archevêque de Sisteron qui lui-même n’avait que
dix-huit ans.
    Elle
devait ce privilège à sa naissance mais plus encore à sa ferveur et à ses
pénitences. Elle se flagellait dans le secret de sa cellule. Les sœurs qui
avaient entendu claquer les lanières en chuchotaient entre elles et leur voix
quoique basse avait atteint et séduit le pape en son palais d’Avignon.
    Elle
était née dans cette sinistre citadelle de Mane qui évoquait par sa forme le
krak des Chevaliers, en Terre sainte, dont les Turcs eux-mêmes n’avaient pu effacer
l’arrogante présence. La citadelle de Mane c’était le même silence, la même
foi, la même obstination massive d’où n’émanait aucune charité ni aucune merci.
Le château avait été

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