Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
Vom Netzwerk:
seize ans. Elle avait été désignée pour sa grande
naissance.
    — Je ne peux pas mourir l’épée à la main, dit-elle, ma condition
me l’interdit. La ciguë m’en aura tenu lieu !
     
    Charance
avait séparé en deux son avant-garde, l’une remontait la Durance, l’autre
allait au-devant de l’armée des Guise dont les fourrageurs avaient annoncé
qu’elle avait franchi le Rhône et qu’il fallait se retrancher dans le Luberon.
    Il
arrivait avec l’arrière-garde, ayant été intercepté par les gens des Guise. Un
parti de catholiques qui avaient vendu chèrement leur peau, lui avaient tué dix
hommes et dont il avait fallu nettoyer l’antre. Le ruisseau en demeura couleur
garance pendant trois jours.
    En
arrivant à Gaussan sous pluie battante, Charance vit briller les cuirasses de
ses braves dans une profusion de lumière.
    — Que
font-ils ? demanda-t-il à son aide de camp.
    — Ils
mangent, mon seigneur.
    — N’ont-ils
rien de mieux à faire ?
    — Mon
maître, ils ne l’avaient plus fait depuis trois jours ! Les brisées des
Manosquins étaient des déserts !
    La
ripaille de daube répandait une odeur divine. Charance s’approcha. Il vit ce
festin tout préparé sur les tables de bois, des fleurs même, dans des vases à
long col, agrémentaient la fête. C’étaient les œnanthes en surplus dont les
moniales avaient orné les couverts.
    Cent
hommes au moins avaient quitté leurs baudriers, suspendu leurs épées aux
colonnettes romanes ; cent hommes tonitruant et se portant des santés à
n’en plus finir. Ils acclamèrent leur capitaine en le voyant paraître. Celui-ci
avait faim aussi et soif. On lui tendit un gobelet, une écuelle pleine à ras
bord de cette daube qui embaumait.
    Charance
se mit à manger et à boire goulûment. Un homme, un peu sommeilleux, voulut le
serrer contre sa poitrine et même l’embrasser sur les deux joues. Il était
manifestement ivre mais ça n’expliquait pas l’odeur méphitique qu’il exhalait
en respirant. Charance découvrit soudain à la lueur proche d’un cierge les yeux
de cet homme bien en face. Ses pupilles étaient dilatées, Charance n’en avait
jamais vu d’aussi énormes. À cet instant le reître tomba puis un autre.
Bientôt, ils furent vingt autour de leur seigneur qui vomissaient, faisaient
dans leurs chausses.
    En un
éclair de lucidité Charance comprit tout.
    Il se rua
à coups d’épée sur la barrique qu’il éventra. Il renversa les deux chaudrons de
viande à moitié pleins sur les dalles, sur les hommes qui criaient, qui se
débattaient, qui essayaient, mais ils avaient des gestes mous, de s’entre-tuer
à coups de hallebarde. Orcières le fidèle n’avait encore ni bu ni mangé. Il
comprit l’étendue du désastre quand il vit ces gaillards hauts de six pieds
tomber comme sacs de cuillers, mous, sans force. Ils essayaient aussi de
détruire les cierges à coups de dague mais ils les manquaient car l’atropine
troublait leur vision.
    — Cours !
dit Charance. Va chercher la rescousse chez Lesdiguières ! Son armée est
au repos au bord du Drac ! Explique-lui ce qui se passe !
    — C’est
à quarante lieues ! Je préfère mourir à vos côtés !
    — Je
te l’interdis ! Cours à Bonne ! Crève ton cheval ! Il faut nous
venger ! Lui seul peut le faire ! Cours !
    Là-dessus
il tomba, mais auparavant il eut le courage de se faire vomir jusqu’à en avoir
des crampes dans le ventre. Il se traîna comme il put à l’abri d’un placard car
un froissement soyeux l’avertissait qu’un danger bien plus grand le menaçait
que le poison. C’étaient les sœurs qui revenaient en force, armées de
tisonniers et de solides battoirs. Pour elles, il n’y avait plus à tergiverser
ni à briguer la gloire du martyre. Il s’agissait d’exterminer cette race
maudite qui se levait contre le Christ. Il n’était plus temps de méditer ni de
se demander. L’urgence était de tuer.
    Charance
en un éclair vit à la lueur des cierges la prieure qui s’était immolée. Elle
gisait, un poignard planté dans la gorge. Il glissa sur le sang répandu, le
seul qui le fût car pour l’instant les morts et les mourants étaient intacts.
Seules leurs pupilles fixes laissaient planer le doute, savoir s’ils étaient
encore en vie ? Les moniales ne se posaient pas de questions. Elles
frappaient à droite à gauche, ayant oublié leurs vœux, n’arrêtant pas de se
signer aussi vite qu’elles assommaient. Ce

Weitere Kostenlose Bücher