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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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l’écoutait comme un oracle en sa fragilité.
    En
réalité, il était en train de peser le caractère de Charance. Il lui paraissait
que ce dernier y mettait trop de pointe, qu’il n’y avait pas apparence que cet
arbre fût responsable de la félonie des clarisses. Charance était en train
d’obéir à la barbarie des reîtres au lieu de les commander. Il était toujours
bien le même garnement qu’autrefois au bord du Drac quand il ne voyait dans la
bataille qu’un moyen de nourrir ses instincts.
    Les
faibles ont toujours secrètement, et sans se l’avouer, détesté les vieux arbres
qui ont le privilège de vivre plus longtemps que les hommes. Charance
saisissait le prétexte du massacre pour assouvir cette sournoise vengeance.
    Les
pièces de fauconneaux étaient maintenant braquées toutes les quatre sur le
tronc de l’arbre. Les servants avaient déjà pointé le cran de mire sur les
tourillons. Ils s’apprêtaient avec méthode à communiquer le feu à la charge par
le canal de lumière percé dans le tonnerre près de la culasse. Lesdiguières une
à une leur arracha les allumes des mains et les piétina.
    — Qui
a donné cet ordre ? gronda-t-il.
    — C’est
moi ! dit Charance.
    — Tu
sais bien pourtant que ces fauconneaux sont à bout de souffle. Tu ne peux même
pas les toucher ! Si tu verses de l’eau dessus, elle s’évapore à
l’instant. Combien ont-ils tiré de coups ?
    — Nonante !
répondit l’artilleur l’allume à la main.
    — À
cent ils éclatent ! s’exclama Lesdiguières. Tu le sais bien,
Charance ! Pourquoi risques-tu la vie de ces hommes pour un arbre ?
    — Il
a abrité le couvent ! Continuez à armer ! cria Charance aux
artilleurs.
    — Et
moi je leur donne l’ordre d’amousser les allumes !
    Lesdiguières
tira son épée.
    Charance
à l’instant eut la sienne à la main.
    — Continuez !
dit-il fermement.
    L’artilleur
ne se le fit pas répéter. Il voyait le capitaine tous les jours. Il avait
partagé avec lui la folie de tant de batailles contre Guise, contre Mayenne,
contre Montmorency. Il n’y avait aucune raison de discuter ses ordres. Cet
homme n’avait jamais vu Lesdiguières. Il ignorait sa qualité. Il bouta le feu
au fauconneau.
    Alors,
Lesdiguières, et il ne l’oublia jamais, vit son pourpoint s’étoiler de sang.
C’était la tête de Charance qui passait à toute vitesse devant le connétable
pour aller s’aplatir contre le tronc de l’arbre. L’artilleur qui avait ouvert
le feu eut les deux jambes emportées. Il fallut l’achever à coups de mousquet
pour abréger ses souffrances. La pièce d’artillerie était éparpillée en
morceaux. Elle avait tué quatre hommes, le visage en bouillie. Ses morceaux rougeoyaient
encore faiblement au pied de l’arbre intact.
    Tout le
monde était figé au sol. Lesdiguières avait les deux mains plaquées devant la
face, lui qui ne perdait jamais son sang-froid. Il tomba à genoux. Dans le
silence qui s’était fait, il entendit le murmure du chêne : son houppier,
à cent pieds du sol, oscillait lentement en racontant une histoire sans fin où
il était question d’hommes et de temps qui s’écoule.
    Lesdiguières
donna l’ordre qu’on pliât ce qu’il restait de la tête de son compagnon dans un
linge bien propre. Il la rapporta à Charance au pommeau de sa selle.
    Quand il
arriva devant le parvis du château à deux cents pieds au-dessus du Drac, il
posa la dépouille mortelle sur le sol devant la terrasse qui commandait tout le
Champsaur. C’est là que la mère du guerrier le rejoignit.
    — Tu
l’as tué ? dit-elle.
    — Non.
Il s’est détruit tout seul. Son âme était faite pour mourir intacte. Sans
vieillir, ajouta-t-il.
    Elle
porta sans mot dire la tête de son fils au caveau de sa race.
     

5
    Quand
Palamède Pons de Gaussan revint vivant de Malplaquet, il avait une jambe en
moins. Il s’était marié en mai, la bataille avait eu lieu le 11 septembre 1709.
Il avait quitté Versailles pour les Flandres avec son régiment après avoir
épousé la fille cadette du duc de Luynes. Celle-ci était d’une grande beauté.
Palamède l’aimait tendrement. Ils avaient été amants dès le premier soir. La
nuit de noces ne fut pas modeste. Ils restèrent couchés trois jours. Ça
ressemblait à une tradition qui datait du fils du Mèche, deux siècles
auparavant. La cour en était médusée à voir leurs volets clos si longtemps. Les
parents et les beaux-parents

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