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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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montraient aucune peur.
    — Faites
bien attention, mes amis, Henri sera demain le roi de tous les Français, il ne
considérera pas politique, lui qui en est un si grand, que vous ayez baigné
dans le sang de ces justes ! Il pourrait vous en cuire !
    Charance
se mit au milieu.
    — Mais
elles m’ont tué soixante hommes !
    — Chassez-les
à coups de fouet. Dispersez-les, conseilla Lesdiguières. Vous me répondez de
leur vie !
    — Mais
le couvent ? Vous n’allez pas laisser le couvent intact ! Il faut
qu’on se souvienne de nous !
    Lesdiguières
avait conscience d’une grande faute. L’abbaye datait du XI e siècle.
Toute l’humilité romane était inscrite dans ses colonnes. Par ce témoignage,
Dieu n’était qu’amour, et toute munificence augurant quelque puissance
temporelle en était extirpée dès l’origine. L’édifice était un grand moment de
la chrétienté, érigé bien avant la colère de Luther et bien avant aussi tout ce
qui l’avait suscitée. Sur ces colonnes colossales et sans ornement, il eût été
difficile de marteler les effigies des saints. Il n’y en avait aucune.
    Mais il
fallait qu’un os quelconque fût jeté à ces enragés. Ils regardaient,
interloqués, leur chef qui interposait tranquillement son épée entre leur
vengeance et eux.
    Sans
attendre l’assentiment de son compagnon d’armes, Charance ordonna de tirer le
canon. Le détachement de l’armée que poursuivaient les Guise comptait soixante
pièces d’artillerie. On les disposa en batterie autour du monastère détruisant
d’abord la porte, le Christ en gloire dominant le portique.
    Quatre
jours et quatre nuits, les reîtres se vengèrent sur l’édifice de l’humiliation
qu’ils avaient subie. Ils s’employèrent à détruire autour d’eux avec un zèle et
une hargne inventifs qui ne laissèrent pierre sur pierre du sanctuaire. Ils
avaient ôté leurs pourpoints et leurs cuirasses et travaillaient comme des
ouvriers à desceller les blocs, à achever le travail de l’artillerie.
    Les gens
de Forcalquier qui entendaient cette canonnade n’en croyaient pas leurs
oreilles, pensant qu’une grande bataille se livrait par là autour. Ce n’était
qu’un chef-d’œuvre de plus dont les hommes se débarrassaient.
    Pendant
quinze jours l’ost de Charance s’acharna sur les ruinés du couvent. À coups de
fauconneaux et de mortiers, les servants eurent raison des voûtes, des arceaux,
des colonnes. À la fin il ne restait plus que les soubassements et les
fondations. Les fossés et les fondrières, car il se mit à pleuvoir, se remplissaient
de boue. Des cadavres de nonnes flottaient sur l’eau sale. Il ne restait plus
qu’un tas de blocs haut de trente toises et qui s’éparpillaient sur soixante
héminées.
    Enfin le
silence s’établit et l’armée allait lever le camp. Ils avaient constitué un
énorme autodafé avec le mobilier, les crucifix, la vaisselle et notamment les
écuelles où ils avaient été piégés.
    Au soir
du dernier jour, des volontaires plus vindicatifs que les autres inspectaient
minutieusement les lieux afin de vérifier si le monastère avait bien été
entièrement rasé. L’un d’eux, même, tira de sa giberne un sac de sel pour le
répandre sur les ruines. Ce grand symbole de l’Évangile, semer du sel sur les
décombres, c’était de la vengeance assouvie le signe définitif.
    Alors,
ils s’aperçurent qu’une ombre pesait sur eux, que le soleil déclinant couchait
au sol. C’était la silhouette d’un arbre gigantesque. Cette présence muette
opposait sa masse tranquille devant l’armée huguenote.
    La
disparition de l’abbaye et de son clocher démoli avait creusé un grand vide
dans le paysage, et le feuillage du chêne tremblait d’aise devant l’éclaircie
qui déchirait le ciel et le mettait en lambeaux parmi les nuages.
    L’armée
avait rasé tous les arbres qui étaient à sa portée mais celui-ci, il fallait
six hommes pour en faire le tour, les bras écartés. Un rossignol unique comme
s’il donnait un récital se servait de l’arbre pour que sa voix fût divine.
    Aussitôt
qu’il vit ce chêne, Charance donna l’ordre de l’encercler avec des mortiers et
de l’abattre à coups de canon. Il ne savait pas l’âge de l’arbre mais son ombre
le désobligeait.
    Orcières
muet observait Lesdiguières. Celui-ci avait levé très haut les yeux vers le
cimier de l’arbre et le chant pur du rossignol paraissait être son unique
souci. Il

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