Chronique d'un chateau hante
n’était pas si souvent en ces
temps-là que les victimes se transformaient en bourreaux.
Orcières
avait fui dès l’injonction de Charance, bien décidé à crever son cheval pour
avertir Lesdiguières de ce qui se passait. Bonne rentrait de Savoie où il avait
perdu beaucoup d’hommes. Il avait voulu repasser par Saint-Bonnet pour se
refaire un peu avant de retrouver les troupes de Charance qui guerroyaient en
Provence. En vérité il y avait bien six mois que sa femme était seule et le lui
faisait savoir de temps à autre, par estafette. C’était donc à la fois pour son
plaisir et pour mettre ses troupes au repos que Lesdiguières avait établi son
campement au bord du Drac.
Orcières
dormait assis sur sa selle quand il eut franchi le col Bayard. Il ne pouvait
plus articuler un mot. Arrivé devant l’antre de Lesdiguières qui ne ressemblait
guère à une demeure de connétable, il frappa violemment à l’huis. Il avait
attaché à l’anneau du montoir le cheval fourbu. Lesdiguières était en train de
besogner son épouse pour rattraper le temps perdu. Tous deux y allaient bon
cœur bon argent, mais sa Blandine était aussi coriace que lui et le Christ
n’avait jamais interdit de faire l’amour à son épouse légitime. Orcières
n’arrêta de frapper de son gantelet que lorsqu’il eut son chef devant lui.
— Eh
bien ? dit Bonne.
Orcières
tenta d’expliquer par gestes et le plus vite possible ce qui se passait à
soixante heures d’ici. La parole était comprimée en lui par le trot qu’il avait
imposé à sa monture.
Lesdiguières
mit longtemps à comprendre. Quand enfin il eut pu démêler que son fidèle
Charance avait été coincé dans un piège infernal, il fonça bride abattue vers
le campement dans les marécages. Il réveilla à coups de fouet les sentinelles
qui dormaient. Il emboucha lui-même la trompe de l’alerte. Ses troupes aguerries
et mues par la foi en avaient l’habitude. Au bout d’une heure à peine, la
cohorte dévalait le col Bayard.
— Je
viens avec vous ! dit Orcières.
— Non !
Tu ne nous servirais à rien. Tu es crevé !
Mais
Orcières était sur le chemin de la gloire. En route, il expliqua au connétable
ce qui s’était passé.
— Ce
sont des furies ! dit-il. Elles invoquaient le Seigneur en frappant !
Je n’avais jamais vu tant de battoirs à la fois et elles s’en servaient comme
d’une arme dès longtemps apprivoisée.
— Et
le Guise ? demanda Lesdiguières.
— Il
louvoie ! Il laisse planer le doute sur ses intentions. Plusieurs fois il
a passé le Rhône et la Durance.
— Charance
s’est laissé berner ! Il n’aurait jamais dû se fier à un monastère !
Ces papistes sont moins naïfs que nous. Nous nous fions à leurs bons mouvements
et ils nous poignardent dans le dos !
Au
couvent tout allait de travers pour Charance. Son avant-garde gavée d’alcool et
de ciguë vacillait par les travées du cloître et autour du puits. Plusieurs y
avaient été jetés. Les coups d’épée étaient mal assurés. La sœur apothicaire
avait ajouté à l’œnanthe et à la belladone quelques pincées de poudre de
cantharide pour faire bonne mesure, et se traînaient par les dortoirs des
reîtres souffrant d’un priapisme artificiel qui les gênait fort pour marcher et
pour combattre les battoirs levés. Une sœur robuste s’était même emparée d’une
épée et frappait en désordre autour d’elle. L’une aussi avait renversé un
reître mourant en pleine érection. Elle était seule avec lui, l’ayant terrassé
sous un escalier. Voyant l’aubaine elle se dit que ce malheureux avait droit à
quelque douceur avant de mourir. Il en profita pour lui plonger son épée dans
le corps.
Quand
Lesdiguières parvint au monastère venant de Forcalquier, le carnage était à son
comble car le reste de l’avant-garde de Charance avait opéré sa jonction avec
les victimes du guet-apens. Le peu qu’il en restait se joignait à la rescousse
pour reprendre l’avantage mais la plupart de ceux qui avaient réchappé
n’étaient pas en état de combattre. Les autres étaient en train de chasser les
nonnes et de les tuer. Avoir été berné par des femmes, et par surcroît des
religieuses, les avait mis hors d’eux.
Ils
avaient rassemblé les dernières au chauffoir et ils s’apprêtaient à les occire.
Le connétable posa son épée sur une table et se plaça entre les reîtres et les
clarisses qui priaient en silence et ne
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