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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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sœur du réfectoire. Comment voulez-vous que je
retrouve les clés ?
    — Vous
détruirez les grilles ! Vous allez me faire couper menu tout le porc que
vous trouverez ! Vous en ferez deux grandes daubes auxquelles vous mêlerez
le condensé d’œnanthes. Vous ferez bien bouillir le tout. Avez-vous
suffisamment de vin ?
    — Deux
barriques.
    — Fort
bien ! De l’une vous nourrirez la daube. L’autre vous la disposerez bien
en vue sur un berceau, avec une bonde ouverte et sa chantepleure !
N’ajoutez pas d’œnanthes au vin. La daube suffira. Il faut que le vin garde bon
goût.
    — Avez-vous
convié Lucifer, ma mère ? demanda l’intendante impressionnée. Vous savez
que l’œnanthe…
    — Je
sais, dit la prieure. C’est de la ciguë ! Croyez-vous que les parpaillots
ne nous la feraient pas boire si d’aventure ils nous prenaient ?
    Une
effervescence laborieuse régna dans le couvent durant tout le jour que dura
l’attente des assaillants. Vers midi, la sœur apothicaire s’approcha de la
prieure, avec une grande brassée d’une plante naine dans son tablier.
    — S’il
m’était permis, ma mère, dit-elle, en mettant un genou en terre, de hasarder un
avis bien modeste, je dirais que votre brouet serait bien plus efficace si vous
y ajoutiez ceci !
    Elle
élevait entre le pouce et l’index une minuscule baie couleur violine.
    — Qu’est-ce
que c’est que ça ? demande la prieure.
    — De
la belladone.
    — C’est
un beau nom ! dit la prieure.
    L’apothicaire
fit un signe évasif.
    — On
m’en a dit beaucoup de bien.
    À six
heures toutes les tables du réfectoire avaient été sorties dans le
déambulatoire du cloître. Et par les grilles ouvertes on apercevait le chœur du
couvent, y compris le tonneau de deux cents pintes qu’on avait assuré sur une
cabrette à scier le bois. L’ensemble était illuminé par des candélabres garnis de
cierges et il y avait autour des bancs, bien disposées à bonne distance, tout
ce que la vaisselle de bois du monastère comptait d’écuelles.
    Un
odorant fumet de porc mêlé à du sanglier s’échappait de toutes les fissures du
couvent, de toutes les ouvertures, exsudait à travers les tuiles et se
répandait insidieux sur la forêt. L’arbre lui-même, l’arbre gigantesque, en
était parfumé.
    Le chœur
étincelait comme par un soir de Noël.
    La
prieure méticuleusement s’assura que tout était à souhait, plongea une écuelle
dans la daube et la goûta du bout des lèvres. Elle était parfaite, ni trop
salée ni trop poivrée. La mort qu’elle recelait embusquait sa présence dans la
magnificence du fumet. La ciguë n’a pas d’odeur une fois cuite. L’œnanthe ne
tue pas. Elle supprime.
    Comme une
maîtresse de maison ayant prié à dîner, l’abbesse fit un dernier tour de table
pour vérifier si elle n’avait rien oublié.
    Les
portes énormes du couvent étaient battantes sur le cloître et, dans le
déambulatoire autour du puits, on voyait le plus beau spectacle du monde.
C’était, autour des colonnettes romanes liées en quadrige, la salle capitulaire
étincelante comme par un soir de Noël.
    Une table
de cent couverts y était dressée, à croire qu’on avait dénombré les tire-laine,
écorcheurs, défroqués (ceux-ci avaient profité du désordre général pour
s’esbigner), crocheteurs, nobles ruinés, assassins par plaisir, croquants
affamés que, comme toutes les armées du monde, les huguenots abritaient dans
leurs rangs.
    Quand la
route poudroya du côté de la Mort-d’Imbert, un col qui en avait vu d’autres, la
sœur la plus jeune de la communauté, qui passait pour avoir une vue perçante,
s’écria soudain :
    — Les
voilà !
    Elle
dégringola du clocher où elle guettait.
    — Dispersez-vous !
dit la prieure. Ne restez pas ensemble ! Allez par deux ou par
trois ! Pas plus ! Montez le plus haut possible vers le
plateau !
    — Mais
et vous, ma mère ? lui dit-on.
    — Non.
Moi je ne dois pas quitter le couvent !
    — Mais
ils vous tueront !
    — Ils
me tueront, soit ! Et moi qu’est-ce que je suis en train de faire d’eux,
croyez-vous ? Vous ne vous figurez tout de même pas que je compte survivre
après ça ?
    Elle
désigna les chaudrons qui glougloutaient doucement.
    — Mais
ce sont des hérétiques !
    — Dans
deux heures d’ici ils auront rejoint le Seigneur et Il leur pardonnera !
Le ciel fasse qu’il en agisse de même avec moi !
    Cette
prieure n’avait que

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