Clopin-clopant
de vacances.
Au regard de chacune de ces semaines chirurgicales
invalidantes mais reposantes, les hospitalisations de vingt-quatre heures pour
chimiothérapie me rendent folle. Je partage une chambre surchauffée avec une
dame ou l’autre qui, sans exception, met le son de la télévision au maximum, ce
qui l’oblige à répondre au téléphone d’une voix de ténor à l’agonie. Évidemment,
pas question de fumer, sauf tout au bout du service pudiquement rebaptisé « oncologique »,
sur une petite terrasse lugubre, jonchée de mégots, d’étoiles de chewing-gums, de
fleurs de Kleenex, de sonores canettes de Coca.
Je me souviendrai longtemps de cette semaine de Noël où, sur
le chemin, ma potence lestée de son moniteur de perfusion s’accrochait à toutes
les guirlandes. Pour m’épargner de renouveler ce parcours du combattant, je
restai là à bouquiner, sous une lumière elle-même moribonde, ratatinée de froid
sur une chaise de jardin une partie de la nuit. Mais après tout, comme dit le
proverbe, « Noël au balcon, Pâques aux tisons ».
Bien sûr, l’hôpital sans fumée, ça semble frappé au coin du
bon sens. Pourtant, ajouter un sevrage brutal à la maladie, la douleur, l’angoisse,
n’a jamais remonté le moral d’un patient. Or, le moral compte tant pour cette
pauvre créature que, si on lui donne un placebo avec le sourire, elle guérit, alors
qu’un médicament efficace envoyé avec un lance-pierres fait fiasco.
Je doute néanmoins de convaincre le corps hospitalier de
rétablir un fumoir par étage.
Hors la loi et hors d’âge
Je souffre moins de l’effet des cigarettes que des
restrictions de ma liberté sous les lois antitabac. Je vois les hygiénistes se
frotter les mains. Sinistre triomphe. Rien que pour ça, avec l’imbécillité des
impuissants, je ne céderai pas. Pire, l’angoisse m’accule à un surcroît de
consommation.
Mais il y a autre chose. Fumer était, naguère, la norme. Aujourd’hui,
on veut en faire une exception. Que dis-je ? une infraction. Malgré les
échecs de la prohibition en Amérique et du lavage de cerveau en Chine, on veut
m’imposer cette sorte de révolution culturelle et faire de moi une délinquante.
C’est drôle que notre société qui se plaint de l’incivilité,
de l’insécurité, crée de l’incivilité en faisant des paisibles fumeurs des
hors-la-loi.
Mais, au fond, pourquoi me plaindre ? À l’âge où l’on
devient si facilement une vieille conne – processus déjà bien engagé – ça me
rajeunit. En outre, cette marginalisation me permet de mieux comprendre
quelques phénomènes mineurs ou majeurs qui, sans m’échapper, ne me touchaient
qu’intellectuellement.
C’est volontiers que j’écourte ma vie pour comprendre, tardivement
et à une échelle dérisoire, un état qui frappe une partie de l’humanité : l’exclusion.
Mais réciproquement, dans ce monde où des peuples se massacrent encore à la machette
– pour ne prendre qu’un exemple –, je trouve parfois un rien extravagant qu’on
se ligue contre le tabac plutôt qu’en faveur de la paix.
Par ce lieu commun, cette philosophie de comptoir, je viens,
hélas, de démontrer que le tabac rend idiot.
Obsession
Plus l’étau de la répression antitabac se resserre autour de
moi, plus je deviens obsessionnelle. Il m’arrive de demander une baguette sans
filtre ou une cartouche de tickets de métro. Il s’agit peut-être d’atavisme :
ma tante Jotte, affolée, appela un jour son garagiste : « Monsieur, monsieur,
ma Philip Morris fume ! – Alors, madame, éteignez-la. Mais s’il s’agit de
votre cabriolet Morris, j’arrive tout de suite. »
Mes propres lapsus sont renforcés par un comportement
maniaque. Les tabacs fermant désormais vers 20 h 30, je ne pars plus
jamais sans trois paquets de Gauloises pour une soirée afin de dépanner
éventuellement un copain ou de parer à l’éventualité d’une tempête de grêle sur
le périphérique en plein été (ça s’est déjà vu un 24 juillet). Je brave les
règlements douaniers en emportant des réserves hallucinantes dans les pays hors
des zones Seita. D’ailleurs, avant tout voyage, j’enregistre les particularismes
locaux afférents au tabac. Sachant qu’un Anglais préférerait crever plutôt que
de demander du feu dans la rue, j’aurai toujours trois briquets sur moi à Londres
pour ne pas m’exposer à cette bévue. Dans les pays intégristes – dont les
États-Unis
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