Clopin-clopant
batterie.
Mais, désormais, à la gêne éventuelle s’ajoute une petite
hystérie de principe. Ainsi, je vois des gens pester quand je fume à l’arrêt de
l’autobus (pas sous l’abri, à côté), dans une queue de cinéma (toujours un peu
décalée), en traînassant au marché le dimanche matin. C’est là qu’une dame m’a
susurré fielleusement à l’oreille : « Fumer donne le cancer. – C’est
fait. – Oh ! Pardon. »
Parmi les doux râleurs, un vieux monsieur contrarié de me
voir porter une cigarette à ma bouche en sortant de la rame. Je lui ai expliqué
que j’anticipais et qu’elle n’était pas allumée (mais je ne lui ai pas dit qu’il
m’arrive de fumer au bout du quai, la tête littéralement dans le tunnel, appuyée
au portillon jaune où s’inscrit en lettres noires « Danger de mort »,
trois éclairs foudroyant un pied).
Cette anecdote de la cigarette éteinte me rappelle cet
historien qui, conscient d’être davantage un « téteur » qu’un
nicotinique, tirait perpétuellement sur un cigare non allumé. Il l’avait
toujours à la bouche comme un bébé sa sucette et se faisait tancer
régulièrement par les ouvreuses de théâtre, les fromagers, les hôtesses de l’air
en rentrant dans les toilettes. Mais son pire supplice était qu’on lui proposât
du feu à tout bout de champ. Il fallait bien de la vertu pour résister à cette
obligeance qui lui serait aujourd’hui épargnée tant l’intolérance gagne.
Dodo, métro, goldo
J’ai commencé à travailler à une époque où, du haut en bas
de l’échelle des salaires, on fumait. J’étais au plus bas. Il y eut dans mon
entreprise une grève très longue où je pus affronter mon patron au cours de
plusieurs réunions belliqueuses avec un sang-froid exemplaire : mes
condisciples m’allumaient mes cigarettes tandis qu’il était seul, derrière son
bureau, à trembloter de fureur en allumant les siennes. Nous nous sommes entr’aperçus,
des années plus tard, dans un restaurant et avons levé notre cigarette comme on
porte un toast.
Allant de-ci, de-là, je me suis incrustée là, ce qui m’a
valu deux médailles du Cercle de la librairie et de l’industrie du livre dont
je ne suis pas peu fière.
Par un bonheur extravagant, même grouillote, j’ai toujours
travaillé dans un bureau personnel, tantôt spacieux, tantôt riquiquissime, si
bien que je n’ai pas trop gêné de monde avec mon tabagisme.
Restaient les réunions dont je me suis désengagée, il y a
quelques années, à la faveur de mes problèmes de santé. À ce propos, il est
évident que je serais morte si je n’avais eu le soutien du travail et de mes
confrères auxquels je me devais de faire bonne figure (à la maison, François
supportait mes angoisses). Programmée pour la rechute, j’évite de décourager
mon entraîneur et mes supporters.
Pour me saper la vie, il aurait suffi de si peu. Au travail,
mes intermittences justifiaient qu’on me fît partager un bureau avec un
non-fumeur. J’aurais dû alors me priver de ces perfusions quotidiennes de
remontant. Paradoxe : la liberté de m’empoisonner m’aura sauvée, au moral
et au physique.
L’aveu est dangereux. Si mon patron veut se débarrasser de
moi à bon compte, il sait ce qui lui reste à faire. Il aura la loi pour lui. Mais,
sans vouloir le flatter, ce n’est pas son genre. D’ailleurs, il est rare de
voir aux portes des maisons d’édition se former de ces petits cercles vicieux
de fumeurs chassés par une rigide application de la loi.
Je note d’ailleurs qu’à la télévision, dans les journaux, les
« gens de lettres » sont les seuls dont on tolère les fumisteries. Néanmoins,
quand on m’a demandé des clichés pour la sortie de mon premier livre, le
responsable du service photo a éliminé toutes les diapos où je fumais. Sur deux
rouleaux, il ne restait que trois tirages politiquement corrects.
Ligne 12
Les lois antitabac, certes légitimes, mais souvent
maladroites ou inefficaces, sont votées par les députés. Pour une fois, ils
purent constater, dans leur environnement immédiat, un effet inattendu d’une de
leurs décisions.
Ainsi, la station de métro Assemblée-Nationale vit-elle, en
peu de temps, son équilibre écologique définitivement perturbé. Naguère y prospéraient
rats et souris – comme dans tout le réseau –, mais encore des grillons, au
grand bonheur des élus auxquels ces grésillements rappelaient le foyer
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