Clopin-clopant
brûlés). Le tout soutenu par une
volonté farouche, une hypocondrie salutaire, des kilomètres de longueurs de
piscine bihebdomadaires. Sans compter la pratique professionnelle de la gravure
qui lui occupe les deux mains les trois quarts du temps. Je me demande parfois
si ses connaissances en tai-chi ne lui permettent pas de fumer avec les pieds.
Son cas n’est pas désespéré, mais les méthodes, à l’évidence,
inadéquates. Peut-être suffirait-il de lui dire que le tabac ne lui fait aucun
mal. Le convaincre que fumer ou non est indifférent à sa santé. Alors son libre
arbitre entre fumer et ne pas fumer pourrait s’exercer avec plus de sérénité.
À l’enterrement d’une cigarette
Isabelle aussi appartient au club des « arrêts-reprises ».
Dans sa maisonnée d’enfants musiciens, elle-même tint longtemps la partition
des instruments à vent en soufflant la fumée de sa cigarette.
Un jour, elle m’annonça qu’elle avait arrêté de fumer. Et d’ajouter :
« J’ai eu l’impression d’avoir enterré ma meilleure amie. Le deuil. »
J’ai été si troublée par cette remarque que j’ai oublié de lui demander le
motif du sevrage. D’autant qu’elle a enchaîné sur un phénomène insolite :
« Depuis, les enfants se ruinent en bâtons d’encens. Chacun teste son
parfum. »
Je me suis demandé pourquoi, puis j’ai compris qu’il s’agissait
d’un des symptômes du tabagisme passif. Clémence, Constance, Petit-Louis et
Paul-à-Lunettes cherchaient à reconstituer l’odeur maternelle. D’une certaine
manière, eux aussi étaient en deuil. Mais comme ce n’est pas une famille où l’on
s’appesantit sur ses problèmes, je suis sûre que ces enfants musiciens vont
composer pour leur mère une « pavane pour une cigarette défunte »
avant la naissance de Quintus (car tel était le motif).
Dans les fratries plus spleenétiques, je suggère que le
tabagique repentant réserve à chacun de ses rejetons un vêtement imprégné de
tabac qui les détournera de substituts coûteux. Néanmoins, Clémence et
Constance étant adolescentes, je comprends tout l’avantage des exhalaisons d’encens
sur l’exhibition d’un doudou fumeux. Peut-être les fabricants devraient-ils explorer
ce nouveau marché d’odeurs en créant des parfums « américaine filtre »,
« anglaise légère », « brune brute », « havane »,
« tabac d’orient », etc.
Ce serait une bonne piste si l’on ne s’était récemment
inquiété d’un possible risque cancérigène de ces bâtonnets d’encens. On n’en
sort pas.
Il va finir par être plus dangereux, pour soi et l’entourage,
d’arrêter de fumer que de fumer, comme tendraient d’ailleurs à le prouver
quelques fâcheux accidents liés à un produit pharmaceutique qui pourtant
promettait beaucoup.
Nicopédagogie
Dans l’arsenal antifumeurs, il y a le chantage affectif, qui
est de loin l’arme la plus redoutable. J’entends encore Anton et Fanny supplier
leur mère de ne plus fumer, sinon elle allait mourir. Ils la voyaient en pleine
combustion, carbonisée, étouffant sous la cendre, une cigarette plantée dans le
cœur tandis que leur père agonisait dans d’atroces souffrances sous l’effet du
tabagisme passif. Après avoir sans doute délicieusement pleuré en s’imaginant
seuls au monde, affrontant tous deux, main dans la main, l’adversité, ils
firent des cauchemars épouvantables.
L’avenir était noir de fumée grâce à la prévenance du corps
enseignant. Au lieu de leur inventer des comptines du style « P’pa, fume
pas, tu t’tues » et « Maman, cigarette, pan pan » qui auraient
fait rigoler tout le monde avec le même résultat, on leur infligeait des
planches de poumons avariés, assorties de discours sur le cancer.
Effet pervers : en foutant la trouille aux enfants qui
ne sont pas en âge de fumer, on les charge ouvertement de faire la leçon à
leurs parents et de les fliquer. Les résultats ne se font pas attendre :
« Arrête de cogner ta sœur, tu lui fais du mal. – J’arrêterai quand t’arrêteras
de fumer, ça lui fait du mal aussi. » Inutile de se plaindre ensuite de la
perte de l’autorité parentale.
Surtout, passé la première panique, les petits constatent
assez vite soit que la cigarette ne tue pas – en tout cas, pas tout de suite –,
soit que leurs parents sont des coriaces. Leurs grands-parents aussi.
Quelques années après, quand leur maman cesse d’être la
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