Comment le jeune et ambitieux Einstein s'est approprié la Relativité restreinte de Poincaré
dire qu’on puisse mesurer ce qui n’est
point ? Lors donc que le temps se passe, on peut s’en apercevoir et le
mesurer ; mais aussitôt qu’il est passé, on ne saurait plus le mesurer, puisqu’il
n’est plus.
Cependant, si l’on mesure le temps – les cadrans solaires et
les clepsydres étaient inventés depuis longtemps – Saint Augustin se demande à
nouveau ce qu’est le temps puisqu’il lui semble contradictoire de mesurer
quelque chose que l’on ne sait même pas définir. Il s’interroge alors sur la
définition du temps donnée par Aristote : « le nombre du mouvement, selon
l’avant et l’après », et se demande si le temps est la même chose que le
mouvement des corps :
Me commandez-vous, mon Dieu, d’être de l’avis de celui
qui dirait que le temps n’est autre chose que le mouvement des corps ? Non
certes, vous ne me le commandez pas. Je sais bien que nul corps ne se meut que
dans le temps. J’entends votre vérité qui me le dit ; mais je ne l’entends
point qui me dise que ce mouvement des corps soit le temps. Vous ne le dites
point sans doute. Car lorsque je vois mouvoir un corps, je mesure par le temps
la durée de son mouvement depuis qu’il a commencé jusqu’à ce qu’il ait cessé de
se mouvoir.
Après maints et maints commentaires, Saint Augustin constate
que si les corps se meuvent diversement, ils demeurent aussi immobiles, et qu’il
s’écoule un temps lorsqu’ils cessent de se mouvoir. Finalement, il en conclut
que le mouvement des corps n’est pas le temps. On reste donc sur sa faim en ce
qui concerne la nature du temps puisque ensuite Augustin se contente de
disserter longuement sur les aspects psychologiques de la conscience que nous
pouvons avoir du temps. Pour Saint Augustin le temps n’existe que dans l’âme.
L’esprit géométrique de Pascal
Un autre exemple de texte souvent cité, à propos des
réflexions sur le temps, est celui écrit par Pascal, et repris dans l’opuscule De
l’esprit géométrique [Pa1]. Ce texte était peut-être destiné à constituer
une préface de caractère philosophique d’un ouvrage qu’écrivit Pascal, vers
1657, et intitulé Éléments de géométrie, mais qu’il jeta lui-même au feu
à la suite des critiques d’Arnauld d’Andilly.
L’impossibilité de définir les notions premières
Ce texte est en un sens une dissertation à propos de l’idée,
exposée dans les Pensées, que les premiers principes, comme l’espace et
le temps, par exemple, ne sont pas connus par le raisonnement mais par les sens
et l’intuition. Il est en effet paradoxal qu’en géométrie, et également en
physique, on puisse définir ou démontrer tout ce qui dérive des principes, tandis
qu’on est dans l’incapacité de définir leurs objets essentiels tels l’espace, le
temps, le nombre, le mouvement, etc. Écoutons Pascal nous parler lui aussi du
temps, quelque douze siècles après Saint Augustin :
[...] il y a des mots incapables d’être définis ; et
si la nature n’avait suppléé à ce défaut par une idée pareille qu’elle a donnée
à tous les hommes, toutes nos expressions seraient confuses ; au lieu qu’on
en use avec la même assurance et la même certitude que s’ils étaient expliqués
d’une manière parfaitement exempte d’équivoques ; parce que la nature nous
a elle-même donné, sans paroles, une intelligence plus nette que celle que l’art
nous acquiert par nos explications.
Ce n’est pas que tous les hommes aient la même idée de l’essence
des choses que je dis qu’il est impossible et inutile de définir.
Car, par exemple, le temps est de cette sorte. Qui le
pourra définir ? Et pourquoi l’entreprendre, puisque tous les hommes
conçoivent ce qu’on veut dire en parlant de temps, sans qu’on le désigne davantage ?
Cependant il y a bien de différentes opinions touchant l’essence du temps. Les
uns disent que c’est le mouvement d’une chose créée ; les autres, la
mesure du mouvement, etc. Aussi ce n’est pas la nature de ces choses que je dis
qui est connue de tous : ce n’est simplement que le rapport entre le nom
et la chose ; en sorte qu’à cette expression, temps, tous portent
la pensée vers le même objet : ce qui suffit pour faire que ce terme n’ait
pas besoin d’être défini, quoique ensuite, en examinant ce que c’est que le
temps, on vienne à différer de sentiment après s’être mis à y penser ; car
les définitions ne sont faites
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