Complots et cabales
malheur ma Catherine surprit ce regard, si bref et si prudent qu'il f˚t. Le lendemain, à la pique du jour, elle congédia la pauvrette, et j'eus tout juste le temps de lui glisser en menotte quelques écus et de lui donner l'adresse de ma demi-sueur, la princesse de Conti, laquelle aimait fort les jolies filles, honni soit qui mal y pense.
Monsieur de Guron e˚t volontiers lambiné à table àcontempler avec toute la discrétion possible Catherine et Henriette, mais je l'entraînai dans mon cabinet, voulant avoir avec lui le bec à bec que j'ai dit.
- Ces retrouvailles du roi et du cardinal à Versailles, dit-il, se jouèrent en deux actes : le premier en présence de Saint-Simon, du marquis de Mortimar, de Monsieur de Beringhen et de moi-même. Le second fut, entre le roi et Richelieu, un bec à bec sans témoin, et dont je n'eusse jamais rien su, si Richelieu n'avait jugé bon, le lendemain, de m'en conter l'essentiel. Le premier entretien fut sentimental et le second, politique.
- Voyons donc le premier.
- Dès que Beringhen eut déclos l'huis, Richelieu entra, il regarda le roi comme s'il regardait Dieu le Père le recevant en son paradis, et les larmes roulant sur ses joues grosses comme des pois, il courut s'agenouiller devant lui. Louis le releva aussitôt, le prit par les épaules, le serra à
lui, l'e˚t baisé sur les deux joues, je pense, si elles n'avaient été si mouillées, et aux remerciements passionnés de Richelieu, il 281
répondit sobrement qu'ayant trouvé en lui le meilleur et le plus dévoué des serviteurs, il avait considéré que c'était son devoir de le protéger.
Certes, si le cardinal avait manqué de gratitude ou de respect à l'égard de la reine-mère, il aurait agi autrement. Mais c'était bien loin d'être le cas. quant à la reine-mère, elle avait été abusée par les mensonges et les machinations de la cabale. Et contre ces cabales, quoi qu'elle dise et fasse à l'avenir, il le défendra toujours comme étant le meilleur et le plus dévoué de ses serviteurs. Eh bien, mon cher duc, qu'en pensez-vous ?
- que le roi rend justice à Richelieu, sans pour autant incriminer sa mère!
En quoi il se montre diplomate. Il ne veut pas passer pour un <~ mauvais fils ", pas plus en France qu'à l'étranger. quant au second acte, celui qui se déroula au bec à bec entre le roi et Richelieu, je présume que Richelieu ne vous l'a pas conté sans raison.
- Assurément non, mon cher duc, dit Guron, et d'autant qu'il m'a autorisé, ou si vous préférez recommandé, de vous le répéter à vous-même, sans vous défendre de le faire connaître au chanoine Fogacer, et par conséquent au nonce, et par conséquent au pape.
- Et par là on voit bien qui a appris au roi les subtils détours de la diplomatie. Mon cher Guron, je vous ois.
- Voici donc mon récit. Une fois que tous les témoins furent éloignés, Richelieu ne laissa pas de répéter au roi la gratitude infinie qu'il aurait à jamais à Sa Majesté pour l'avoir protégé de ses ennemis. Cependant, après avoir tourné et retourné le problème dans son esprit, il pensait, dit-il, que le meilleur parti qu'il p˚t prendre meshui est de se retirer des affaires. Car bien qu'il honore infiniment la reinemère, et qu'il n'ait jamais eu l'intention de lui nuire, il se rend clairement compte qu'elle lui sera à jamais irréconciliable. Il est donc malheureusement à prévoir que cette aversion provoquera à tous moments des difficultés inextricables.
Il sera à jamais accusé d'ingratitude, de tyrannie, de violence, et dans ces conditions il n'aura plus l'autorité nécessaire pour mener sa t‚che à
bien. Il honore infiniment
282
la reine-mère, mais plutôt que d'être, malgré lui, la cause d'une continuelle mésentente entre la reine-mère et son fils, il préfère s'en aller et s'enfermer dans la solitude de sa maison des champs. Eh bien, mon cher duc, qu'êtes-vous apensé de ce beau morceau ?
- D'une part, que sa prévision de l'avenir a toutes les chances d'être vraie : la reine-mère, étant à la fois obtuse et obstinée, ne va pas manquer de s'acharner quotidiennement contre lui. Et d'autre part, cette prévision propose ou suggère au roi un choix nouveau. La reine-mère, dans sa violente et vulgaire algarade, avait posé à Sa Majesté un ultimatum: ou vous choisissez votre Richelieu, ou moi. Beaucoup plus suave et subtil, mais par le seul fait qu'il propose sa démission au roi en raison des difficultés
Weitere Kostenlose Bücher