Complots et cabales
les portes de ses appartements. Par elles aussitôt la Cour s'engouffre, difficilement contenue par les barrières, dans sa chambre. De cette foule s'élève alors, à l'endroit de la reine-mère, un concert d'éloges, d'actions de gr‚ces et de flatteries. Elle les boit à long trait. Elle savoure à la fois son triomphe et sa gloire.
- N'est-ce pas un comble, dit Fogacer, qu'elle puisse penser cela, alors que le roi est resté bouche cousue ?
- C'est que, dis-je, pour cette grande hurleuse, le silence ne veut rien dire. Le roi se tait, donc il accepte. Elle a chassé Richelieu, et dans son esprit enfantin et confus, cela veut dire qu'elle a reconquis le pouvoir et qu'elle va l'exercer seule et sans partage, comme au temps de la Régence.
Et déjà,
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Marillac à ses côtés, elle distribue les emplois à ses favoris, heureuse et triomphante. Sa cervelle est ainsi faite qu'elle oublie ce qu'elle veut oublier et croit ce qu'elle veut croire. Elle ne se ramentoit pas qu'en 1617, le roi n'ayant encore que seize ans, il a exécuté sans crier gare les deux inf‚mes favoris et l'a reclose dans sa chambre avant de l'exiler. Elle oublie par-dessus tout, dans la douce ivresse des encens qui montent vers elle, que le roi est l'oint du Seigneur et détient, outre sa légitimité, tous les instruments du pouvoir: les corps constitués, l'armée, le Trésor.
Mieux encore, elle oublie qu'elle ne l'aime pas, qu'il ne l'aime pas non plus, et que leurs rapports n'étant que protocole et cérémonies, aucun sentiment ne jouera de rôle dans le sort qui l'attend.
- Et quelle impression, dit Fogacer, vous a-t-elle faite alors ?
- Naturellement, dis-je, l'aveuglement de la pauvre reine prêtait quelque peu à la dérision. Depuis sa dramatique prise de pouvoir, Louis avait engagé contre elle, ses violences et ses entêtements, une lutte quotidienne. Et elle s'imaginait encore qu'il allait lui abandonner son sceptre après même qu'elle l'eut de nouveau profondément outragé en accablant son ministre d'injures en sa présence. Toutefois, j'éprouvais aussi pour elle quelque compassion : ce n'était point sa faute si elle était si bornée et si butée, sans connaissance aucune, ni la moindre lumière, et toujours gouvernée à la Cour par les filous, les flatteurs ou les fanatiques. Si au moins elle avait eu quelque coeur qui e˚t pu racheter ses insuffisances, mais elle n'avait jamais aimé personne, ni son mari, ni ses amis, ni même ses enfants, àl'exception de Gaston, à qui, toutefois, elle chantait pouilles chaque fois qu'elle le voyait.
- Et malgré cela, dit Fogacer, malgré qu'elle e˚t fait tant de mal pendant sa régence et après sa régence, vous aviez pitié d'elle ?
- ¿ mon sentiment, dis-je, dès lors qu'on avait dépassé le rire, c'était un très pitoyable spectacle que cette malitorne, à demi couchée sur sa couche splendide et respirant l'encens
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qui montait vers elle de ces coquebins et pimpésouées de cour qui, à eux tous, avaient à peu près autant de cervelle qu'un moineau. Elle vivait, quant à elle, un rêve magnifique
elle reprenait le pouvoir et dans son obtuse cervelle, elle ne pressentait pas combien, en ce qui la concernait, la roche Tarpéienne était proche du Capitole 1. Mon cher chanoine, il est en effet dommage que le Seigneur ne vous ait pas donné, en plus de vos aimables vertus, le don d'ubiquité, car vous pourriez meshui me conter ce qui s'est passé à Versailles et les retrouvailles de Richelieu et du roi.
- Néanmoins, je pourrais vous nommer quelqu'un qui pourrait satisfaire là-dessus votre attente.
- Et qui donc ?
- Monsieur de Guron.
- Eh quoi! Monsieur de Guron se trouvait là ?
- Oui-da, Richelieu l'avait emmené avec lui à Versailles.
- Et pourquoi donc ?
- Se peut qu'il ait eu besoin, en cette importantissime démarche de sa vie, d'une présence amicale. Et c'est bien pitié que vous n'ayez pas été présent en Paris en ce momentlà, mon cher duc, car c'est vous qu'il aurait choisi...
Il ne se peut que le lecteur ne se ramentoive pas Monsieur de Guron, chez qui j'avais reçu la Zocoli et ouÔ ses précieuses redisances.
Monsieur de Guron, fidélissime serviteur du roi et du cardinal, était connu partout comme le plus goulu des goinfres de la Cour, fraternité qui par malheur comptait aussi parmi ses membres le roi, quoi qu'en grogn‚t mon père, lequel, s'il avait été le médecin royal, lui aurait déconseillé de tant échauffer ses fragiles
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