Complots et cabales
propres faveurs. Ce qui voudrait dire aussi que toute la politique du royaume serait changée, et que le roi, abandonnant son sceptre à sa mère, retomberait dans l'odieuse humiliation d'une nouvelle régence.
" Je ne crois pas davantage, poursuivit Fogacer, que Richelieu, laissé seul à Paris et souffrant mal de mort du coup de caveçon que le roi lui avait administré au départir, conçut le projet de s'enfuir tout de gob à
Pontoise, et de là gagner Le Havre, ville qui était à lui, et o˘ il se sentirait davantage en sécurité. Là-dessus, son ami le cardinal de La Valette lui aurait déconseillé cette retraite en prononçant le mot célèbre et à mes yeux tout aussi apocryphe : "qui quitte la partie la perd. "
- Je connais l'histoire, dis-je, La Valette la conte de tous les côtés en s'en paonnant, et je suis bien persuadé qu'elle est fausse. Car fuir pour le cardinal, c'e˚t été reconnaître que les accusations extravagantes portées contre lui par la reine étaient vraies. Mais surtout, se réfugier au Havre, ville
274
qui, en effet, était à lui et o˘ il pouvait se fortifier, cela e˚t voulu dire qu'il était rebelle à son roi et entendait lui résister. Or, Richelieu n'a conçu, sa vie durant, qu'un seul devoir, et il e˚t été folie de le renier en un tel moment : attendre l'ordre du roi et quand l'ordre venait, lui obéir, quel qu'il f˚t.
- Mais mon cher chanoine, pardonnez mon impatience. quand et par qui Louis appela-t-il Richelieu à le venir rejoindre ?
- Saint-Simon prétend qu'à Versailles, sur l'ordre du roi, il dépêcha un < gentilhomme qui était à lui " prévenir Richelieu.
- " Un gentilhomme qui était à lui " ! dis-je en riant. Voilà qui est parlé
en prince ! Comme il se gonfle, notre petit duc !
- En fait, dit Fogacer, je ne pense pas que Louis attendît d'être à
Versailles, c'est-à-dire trois heures plus tard, pour sortir le cardinal des flammes de l'Enfer o˘ il l'avait jeté. ¿ mon sentiment, à peine était-il hors de la capitale qu'il envoya un de ses mousquetaires inviter Richelieu à venir sans tant languir le rejoindre. Honneur extraordinaire en soi, car Versailles est, comme bien vous savez, la petite maison des champs de Louis. Il n'y invite personne, sauf le comte de Soissons, et c'est du reste dans la chambre o˘ dormait d'ordinaire Soissons qu'il logea Richelieu. Ah mon cher duc ! comme j'eusse voulu en ce moment me dédoubler et être àla fois à Versailles et au Palais du Luxembourg à Paris pour connaître en même temps ce qui se passait côté roi et côté reine-mère.
Toutefois, je me consolai vite de cette impossibilité, car au Luxembourg se jouait une comédie (qui tenait aussi du tragique) et que je n'eusse voulu manquer pour rien au monde.
- J'y étais, dis-je. Comme le roi, après la tonnante algarade que la reinemère avait infligée à Richelieu, et l'ultimatum qu'elle avait lancé à son fils de choisir entre elle et le cardinal, était parti sans piper mot, la malheureuse avait conclu en sa simplesse que ce silence valait un acquiesce-275
ment, et fortifiée encore dans cette folle conviction par le fait que le roi, dans la cour, était passé devant Richelieu sans un regard ni une parole, elle fut convaincue que Richelieu allait être chassé. Elle le dit, elle le publie, et cette version aussitôt se répand de bouche en bouche dans toute la Cour, et devient le sujet d'une immense satisfaction.
" Là-dessus, survient Marillac qui, fort hypocritement, demande au secrétaire d'…tat Bullion qui se trouvait là
" qu'est ceci? Il y a quelque chose? Dites-moi ce que c'est?" Ce qui veut donner à penser à la Cour qu'il était ignorant des projets de la reine-mère alors que c'était luimême, en toute probabilité, qui les lui avait inspirés. Il entre, et la reine-mère lui confirme aussitôt l'éclatante victoire qu'elle vient de remporter et lui offre, dès que le cardinal aura vidé les lieux, de remplir ses fonctions. Marillac accepte sans hésiter, alors que la prudence e˚t d˚ lui conseiller d'attendre l'assentiment du roi pour se considérer comme son ministre principal.
"Après cet entretien avec Marillac, la reine-mère, fort agitée encore de ses fureurs, met de l'ordre dans sa vêture, se fait recoiffer et repimplocher par ses chambrières, et fort lasse, mais profondément heureuse, s'allonge sur son lit àdemi, le dos appuyé contre le montant du baldaquin. Elle commande alors à son maggiordomo de déclore
Weitere Kostenlose Bücher