Complots et cabales
de dire que cette séance fut peu secrète, puisque les conseillers avaient reçu, avant même qu'elle ne se tint, mission de la faire connaître autour d'eux. Et vous avez aussi raison de dire que Richelieu fut émerveillable. Il y a toujours un élément de thé‚tre dans une assemblée et le cardinal y excelle, alors même qu'il a l'air si sobre et si retenu. Notez bien qu'avant la scène qui se passe sur le thé‚tre, se place une répétition, et ce serait une erreur de croire que le roi n'ajoute rien ou ne retranche rien àl'exposé de son ministre...
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¿ part le jour précis de février 1631 o˘ fut tenue àCompiègne cette importantissime séance du Conseil du roi, je me ramentois tout, et de prime qu'il faisait un froid à geler pierres (et coeur, e˚t d˚ dire la reinemère) tant est qu'en dépit d'un grand feu allumé dans la monumentale cheminée de la grand-salle, à peu que les conseillers ne claquassent des dents. Et il se peut aussi que leur langue f˚t elle aussi quasi gelée, car ils restèrent bouche cousue, quand le roi leur demanda leur avis après avoir ouvert le débat qui devait régler le sort de la reine-mère. Le roi alors, entendant bien leur vergogne à ouvrir le bec sur le sort d'une personne royale qui était, par son rang, le deuxième personnage de l'…tat, donna sans tant languir la parole à Richelieu, lequel n'avait en aucune manière, en cet ultime combat, l'air d'un preux chevalier entrant en lice, le heaume fermé et la lance abaissée. Tout le rebours. Il se tenait debout à la dextre du roi, et un peu en retrait, afin de lui laisser le devant de la scène ; le corps, cependant, bien droit en sa soutane pourpre immaculée et le menton haut, il donnait une impression de vigueur que ne parvenaient pas à démentir ses yeux creusés par la fatigue, ses joues maigres et son poil déjà grisonnant. Il parla comme à l'ordinaire sans note, d'une voix courtoise bien articulée, mais sans l'ombre d'une onction cléricale. En ces séances, indifférent aux attaques, si vives qu'elles fussent, il demeurait toujours calme et serein, confiant dans la justesse de ses vues et en sa propre habileté à les faire prévaloir.
Le fait que le roi lui donnait en dernier la parole lui baillait, de reste, un immense avantage, personne n'ignorant que le roi et son ministre marchaient dans toutes les affaires du royaume, mano nella la mano 1, comme e˚t dit la reine. Il va sans dire qu'il y avait là, pour elle, l'effet sulfureux d'un charme diabolique... Mais les conseillers du roi, moins superstitieux, en jugeaient autrement, étant
1. La main dans la main (ital.).
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béants et comme subjugués par le talent politique de Richelieu.
- Messieurs, dit le cardinal, Sa Majesté me donnant l'ordre d'opiner, je ne puis que lui obéir, si difficile, voire même si délicate, que soit la décision que nous devons prendre. Pour bien entendre cette décision, elle doit être, de prime, replacée dans le contexte historique qui est le nôtre, et qui est loin de nous être favorable. Le royaume de France n'est, en effet, entouré que d'…tats qui rêvent à sa perte. Au nord, les Pays-Bas espagnols. ¿ l'est, la Lorraine. ¿ l'est et au sud-est, les Impériaux, et en Italie, le Milanais. Au sud enfin, la Péninsule ibérique. Or, n'ayant jamais réussi àbattre sur le terrain les invincibles armées de Sa Majesté, ses ennemis t‚chent d'affaiblir la France en fomentant des troubles et des tumultes par l'intermédiaire de personnes qui se sentent plus Espagnoles que Françaises. Ces troubles sont, comme vous savez, l'oeuvre de la cabale, laquelle, attachée à cette t‚che vile, est traître et perfide au roi, déserteuse à sa patrie, criminelle de lèse-majesté au premier chef.
< Messieurs, reprit-il au bout d'un instant, il serait inutile de nous cacher à nous-mêmes que des personnes royales participent à ces troubles.
Et si nous voulons y mettre fin, il ne sied point de les oublier, quelque respect et révérence que nous ayons pour elles. quant à moi, pour mettre fin à ces insufférables agitations qui menacent les fondements mêmes de l'…
tat, je vois quatre solutions.
" La première serait de s'accorder avec Monsieur. Sa Majesté l'a tenté Dieu sait combien de fois en lui donnant ce qu'il voulait. Mais à peine Monsieur a-t-il reçu ces dons qu'il demande davantage. D'o˘ un nouvel accord fort co˚teux et qui est rompu derechef: rupture aussitôt suivie de nouvelles
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