Complots et cabales
gouvernement du roi, et le maréchal d'Estrées, la garnison de mille six cents hommes qui devait garder la reine-mère et dont d'ailleurs il reçut le commandement.
- Mais pourquoi tant d'hommes ? dit Catherine.
- Mais parce qu'il était à craindre que Gaston, qui avait pris les armes contre son frère, ne tent‚t de délivrer la reinemère. C'e˚t été, dans son jeu, un atout capital. L'héritier présomptif de France délivrait sa mère des griffes du méchant fils, et l'attaquait ensuite avec l'aide et la benoîte bénédiction des Espagnols et des Impériaux.
- La chose était donc faisable ?
- Elle l'était, mais pas avec Gaston assurément... quoi que Gaston entreprît, il ne persévérait jamais. Ramentez-vous La Rochelle. Il voulait être le généralissime du siège, et au bout de quelques semaines, il planta là son commandement pour courre se vautrer dans les délices parisiennes.
La Ville-aux-Clercs, un peu surpris de voir la reine-mère en si simple appareil, posa un genou à terre et lui remit la lettre du roi. Elle l'ouvrit, elle la lit, la replia et dit sans marquer d'émotion: " Le roi me reclôt à Moulins. - Madame, dit le maréchal d'Estrées, Moulins est à vous.
C'est votre maison. Vous vous y êtes toujours beaucoup plu. Et vous y serez en toute liberté et autorité. "
- Et, Monsieur mon mari, dit Catherine, que répond-elle à ces paroles adoucissantes ? Elle hurle ?
- Eh non, m'amie! Elle ne hurle pas. Elle pleure!
- Dieu bon! dit Catherine. Enfin une réaction féminine! Vous verrez que je vais finir par avoir pitié d'elle !
- Mais le monde entier la plaint ! Est-ce sa faute, si elle n'a pas un atome de jugeote en sa cervelle, mais en revanche, un entêtement aveugle, un orgueil démesuré, et un terrible acharnement à régner, alors qu'elle n'a aucun des talents qu'il y faut ?
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- Et que font nos deux messagers? Faire pleurer la reine-mère, voilà qui est embarrassant, même pour un maréchal.
- Eh bien, ils attendent qu'elle leur donne congé. Et tout soudain, elle s'écrie, les larmes roulant encore sur ses joues, grosses comme des pois :
" Je n'ai rien fait qui mérite un traitement pareil ! "
- Monsieur mon mari, reprend Catherine, va-t-elle quitter Compiègne pour Moulins, comme le roi le lui ordonne ?
- Fi donc ! Obéir au roi ! Vous n'y pensez pas ! Elle invente toutes sortes de prétextes pour différer son département: il y a la peste à Moulins (ce qui est faux). Le ch‚teau de Moulins est délabré (ce qui est faux). Elle ne partira pour Moulins que si on lui rend le docteur Vautier (ce qui est impossible, le roi l'a embastillé). Et enfin, une dernière trouvaille, on ne la veut transporter à Moulins que pour gagner le Rhône et là l'embarquer sur une galère afin de la transporter à Marseille, et de là à Florence o˘
elle n'aura ni honneur, ni bien, ni retraite au milieu de parents lointains qu'elle n'a jamais vus.
- Et que fut sa captivité à Compiègne ?
- que pouvait-elle être avec une femme d'aussi peu de ressources ? quand il fait beau, elle se promène sur la terrasse du ch‚teau avec le maréchal d'Estrées qui est la courtoisie même. Et là, ou bien elle gémit, se répand en plaintes interminables que d'Estrées écoute d'un air compatissant, ou bien elle lit à haute voix, contre le roi et Richelieu, des pamphlets séditieux que d'Estrées fait semblant de ne pas ouÔr. Elle a, du reste, reçu toute liberté de se promener dans Compiègne, mais par hauteur elle s'y refuse. Son Luxembourg lui manque et plus encore sa Cour de thuriféraires.
Ses jours s'écoulent dans une morne grisaille, éclairée de temps à autre par l'éclair d'un espoir. Elle apprend un jour par une lettre de Madame du Fargis que, d'après les horoscopes, le roi son fils mourra avant la fin de l'année... Voilà qui arrangerait tout! Et que de beaux rêves lui donne 318
cette mort-là : le retour triomphal à Paris, et une immense autorité sur Gaston, le nouveau roi.
- Ma fé ! mon ami, sous quelles couleurs vous la peignez! Le tableau n'est-il pas un peu noir ?
- ¿ mon avis, il ne l'est pas assez. La reine-mère n'a jamais aimé ses filles et moins encore son fils aîné. Avez-vous oublié la façon odieuse dont elle l'a traité en ses jeunes années, le rabaissant sans cesse et le livrant aux insolences de Concini? quant à Gaston, la reine se fait sans doute quelques illusions sur ce qu'il ferait s'il venait au pouvoir. ¿ mon sentiment, il est
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