Complots et cabales
tous les compliments que je lui fais sur sa beauté, mes rapports avec mes frères Guise restent froids et distants. En outre, s'étant donnés corps et ‚me à
la cabale, ils voient en moi un suppôt du cardinal, lequel est à leurs yeux le diable incarné.
J'avais à peine gagné le haut du perron que la carrosse du duc de Guise apparut, suivi de ses gentilshommes. Le valet ouvrit la porte, déplia le marchepied, et le duc de Guise mit noblement pied à terre. Alors, commença de lui à moi une petite scène longuette, muette et, à mon sentiment, passablement comique. Dès que le duc fut hors de sa carrosse, j'ôtai 368
mon chapeau et le saluai d'un geste ample. Il ôta son chapeau à son tour et me salua avec une ampleur un peu plus faible que la mienne. Il indiquait par là que le duc de Guise, gouverneur de la Provence, avait le pas sur le duc d'Orbieu, pour la raison qu'il avait reçu de sa famille, en se donnant la peine de naître le premier des m‚les, le titre de duc et pair, alors que moi, j'avais été à grand-peine et en maintes missions et périls pour mériter que le roi me le confér‚t.
Cette nuance me déplut, étant si sotte et si infatuée. Aussi, au lieu de descendre les degrés à l'encontre du duc de Guise, je ne branlai pas d'un pouce, et me contentai de lui dire du haut du perron, avec un geste d'accueil
- Mon cher duc, vous êtes le très bien venu céans.
- Je vous remercie, mon cousin, dit le duc de Guise, mais sans branler d'un pouce lui non plus, attendant d'évidence que je descendisse les marches vers lui au lieu de les gravir vers moi.
Tout se passa alors comme si une méchante fée, d'un coup de sa maléfique baguette, nous e˚t changés l'un et l'autre en statues de pierre. que diantre ! m'apensai-je, si ce coquebin me vient voir, c'est pour quérir de moi quelque recours et secours ! En ce cas, ne peut-il se donner peine de monter quelques marches sans que je l'aille chercher ?
- Mon cher duc, dis-je enfin, il fait très froid. Je vais de ce pas donner l'ordre à un valet d'allumer un grand feu dans mon petit salon, et si vous voulez bien suivre Monsieur de Saint-Clair, il vous y conduira, et par ce temps froidureux nous y serons beaucoup mieux que céans pour un petit bec àbec.
Là-dessus, je le saluai avec tout le respect du monde et m'en allai. Je n'avais pas résolu le problème, mais je l'avais, du moins, éludé de façon à
ce qu'il n'y e˚t ni vainqueur ni vaincu dans cette sotte bataille de protocole. Et en effet, quelques minutes plus tard et le feu flambant haut et clair dans le petit salon, le duc de Guise apparut, me donna pour la première fois de sa vie une forte brassée, et sur ma prière 369
s'assit et but avidement un bon gobelet de vin chaud qui le rebiscoula en un battement de cils.
J'ouvre ici une petite parenthèse. Belle lectrice, le fait que je n'aime guère le duc de Guise ne doit pas vous frustrer du plaisir de sa description. Il avait hérité de son illustre père une haute taille, une membrature carrée, une tournure élégante, un visage d'une beauté virile.
Toutefois, il n'avait ni l'audace ni l'ambition de son père, combien qu'il s'efforç‚t de les parader. Comme son père, qui mourut sous les dagues des quarante-Cinq pour avoir voulu supplanter son roi, le duc avait reçu de cet ancêtre un grain de folie dans ses entreprises.
- Mon cher duc, dit-il, j'ai deux prières à vous adresser la première, de me bien vouloir bailler pour moi et mes gentilshommes le gîte d'une nuit.
La seconde est de me donner un conseil dans le périlleux prédicament o˘
meshui je me.trouve.
- Pour le gîte, mon cher duc, dis-je après un moment de silence, cela va de soi, et aussi quant au pot et au rôt pour vous-même et vos gentilshommes, sans oublier les montures. Mais pour le conseil, il n'y faut point compter.
- Me le refuseriez-vous ? dit-il d'un air déquiété. Vous dont on loue partout le jugement et la générosité ?
- C'est que, mon cher duc, je suis fort rebelute au rôle de donneur de conseils, le tenant pour le plus ingrat du monde. Ou bien le conseil est rejeté et l'on se sent, avec lui, quelque peu déprisé, ou bien il est accepté, et malheur àvous s'il aboutit à un désastre : votre obligé vous chantera pouilles jusqu'à la fin des temps !
- Je ne vous chanterai rien de ce genre, dit Guise. Je vous en fais le serment.
- Eh bien, qu'en est-il de ce périlleux prédicament o˘ vous dites que vous êtes tombé ?
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