menacé, mais c'est à
vous, et à vous seul, de décider de ce que vous allez faire.
Guise me quitta le lendemain à la pique du jour fort froidureusement et sans le moindre merci pour mon hospitalité. Je demandai en aparté à
Monsieur de Saint-Clair de se porter avec lui au ch‚telet d'entrée sous prétexte de lui rendre honneur, en réalité pour observer quelle direction il allait prendre : le Nord ou le Sud. Et la carrosse du duc de Guise s'en alla, suivi de l'oeil déprisant de mes Suisses qui avaient soigné et referré cinq de leurs chevaux et bichonné et nourri les autres, sans recevoir, au départir, la moindre piécette < pour leur graisser les roues", comme eussent dit les Italiens.
J'étais si trémulant de savoir quel chemin Guise allait prendre, celui de Paris ou celui de la Provence, que dès qu'il eut passé le ch‚telet d'entrée j'allai à la rencontre de SaintClair, et marchai si vite que Nicolas pouvait à peine me suivre.
- Eh bien, criai-je de loin à Saint-Clair, quelle direction a-t-il prise ?
- Le Sud.
- La Dieu merci! m'écriai-je. Il retourne en Provence.
Et je regagnai à grands pas mon logis suivi de Nicolas, toujours sur mes talons.
- Monseigneur, dit Nicolas, dès que nous e˚mes atteint le haut du perron, peux-je vous poser question ?
- Pose !
- Pourquoi êtes-vous si heureux que Monsieur de Guise ait pris la route du Sud ?
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- Parce que cela veut dire qu'il s'en retourne en sa Provence au lieu de gagner Paris.
- Et pourquoi est-ce important qu'il retourne en sa Provence ?
- Parce qu'il va la quitter.
- Pardonnez-moi, Monseigneur, mais je n'entends goutte à ce propos. Il est heureux qu'il retourne en sa Provence parce qu'il va la quitter ?
- Eh oui ! ¿ peine arrivé, il va racler jusqu'au dernier écu ses coffres, remplir ses boursicots, et non sans jeter un regard mélancolique sur son palais du gouverneur, sur son ch‚teau o˘ il donnait de si belles fêtes, il gagnera l'étranger, probablement l'Italie.
- Pourquoi l'Italie, Monseigneur ?
- C'est le pays le plus proche rappellera le plus sa Provence.
- Et pourquoi va-t-il ainsi s'exiler de soi ?
- Pour éviter les bons soins du bourreau.
- qu'il avait mérités ?
- Largement. Ramentois, je te prie, qu'il est entré dans un complot avec Gaston et Montmorency pour abattre le roi de France. Elles étaient trois, ces pauvres ambitieuses grenouilles ! Après la défection de Guise, elles ne seront plus que deux. quant à la Provence, dès lors que Guise part, elle restera fidèle à son roi.
et dont le climat lui
CHAPITRE XVI
Belle lectrice, je quiers d'avance votre pardon : vos beaux yeux vont pleurer. Et moi-même je confesse que rien ne me fait plus chagrin que le malheureux destin du duc de Montmorency.
Les Dieux lui avaient tout donné : une haute ascendance, des aÔeux illustres, un maréchalat de France, le gouvernement d'une province renommée pour sa douceur de vivre, une apparence qui faisait de lui, à la Cour, le parangon de la beauté virile, une épouse adorable qui n'adorait que lui, une affabilité si chaleureuse et si généreuse qu'elle lui valait beaucoup d'amis, une santé de corps si émerveillable que son médecin lui prédisait la longévité de Lesdiguières 1, et enfin par ses biens propres et ceux de sa femme, il était si bien garni en pécunes que même s'il avait vécu deux ou trois vies dans le faste et la dissipation, il n'e˚t pu épuiser ses coffres... Et la question, belle lectrice, que je me pose est celle-ci: comment Montmorency a-t-il pu hasarder tout ce qu'il était et tout ce qu'il avait dans une équipée aussi folle, je dirais même aussi puérile, que celle que je vais conter, alors qu'on e˚t pu dire de lui, pour citer le poète latin, qu'il e˚t été "trop heureux, s'il avait connu son bonheur
> ?
1. Le maréchal de Lesdiguières mourut à quatre-vingt-trois ans. Devenu veuf neuf ans plus tôt, il se remaria à soixante-quatorze ans.
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Il est vrai qu'il nourrissait, comme on l'a vu, de sérieux griefs personnels contre Richelieu. La suppression de son titre d'amiral de France, et de son droit d'épave, lui avait enlevé de hautes fonctions et de gros revenus.
Mais il baignait aussi dans un entourage o˘ chacun, pour des raisons différentes, haÔssait Richelieu. Son épouse, Marie-Félicie des Ursins, était par sa naissance liée aux Médicis et voulait mal de mort au
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