Complots et cabales
oublis ne reçoivent plus rien du tout.
- Ces oublis ! dis-je, mais c'est malhonnêteté toute pure ! D'autant que l'évêque n'est jamais en retard, lui, pour envoyer ses commissaires au moment des moissons prélever sa part de blé. Je vais de ce pas lui écrire.
- Au nom du Ciel, Monseigneur, n'en faites rien! C'est pour le coup qu'il me gardera à vie une fort mauvaise dent.
J'apazimai ses craintes, et dès qu'il se fut retiré je rédigeai une lettre aigre-douce audit évêque pour lui ramentevoir que j'avais d˚ réparer à mes frais le toit de l'église d'Orbieu, l'évêché ayant remis d'année en année de le faire. Cependant, je n'étais pas du tout décidé à payer, à sa place, les gages de mon curé. J'espérais - in cauda venenum - que ce petit différend se réglerait facilement de lui à moi, sans qu'il soit besoin que j'en touche mot au roi, lequel était, comme bien il savait, fort chatouilleux sur la façon dont les évêques traitaient leurs pauvres curés.
- Monsieur, un mot de gr‚ce!
- Belle lectrice, vous céans ? Je vous ois avec joie.
- Le roi peut-il révoquer un évêque ?
- Non. Mais il peut décider qu'à la mort dudit évêque l'évêché ne reste pas dans sa famille.
- qu'est cela ? Un évêché est-il donc une sorte de privilège héréditaire ?
- Assurément. C'est le roi qui nomme le titulaire à toute 366
abbaye et à tout évêché, et c'est une fort belle récompense pour une famille fidèle, à laquelle Sa Majesté veut témoigner sa reconnaissance, car elle comporte un revenu important. qui plus est, si le roi le veut ainsi, la dignité d'évêque devient héréditaire dans une famille. Elle y est, en principe, réservée au cadet, lequel, de naissance, est fort dépourvu, le titre et le domaine devant aller à son aîné. L'évêché est pour le cadet de famille non seulement un titre honorable et respecté, mais comporte aussi, comme j'ai dit, un revenu substantiel, parfois même considérable.
- Autrement dit, il n'est nul besoin de vocation pour devenir évêque, ni même nécessaire de recevoir une formation. Mais n'est-ce pas là, Monsieur, un détestable recrutement ?
- Belle lectrice, je dirais même un recrutement impie. L'évêché est meshui bien davantage un revenu qu'un sacerdoce. L'évêque s'occupe fort peu de ses églises, de ses curés et de ses ouailles. D'o˘ le triste état des églises de village, la misère des curés de campagne, la désaffection des fidèles.
L'évêque est un grand seigneur. Il vit en grand seigneur, les banquets succédant aux banquets, et les amours aux amours. Mon demi-frère, feu cardinal de Guise, ne craignait pas d'entretenir une concubine dans son palais épiscopal et de lui faire des enfants. Mais pardonnez-moi, belle lectrice, d'écourter cet entretien: je vois Monsieur de Saint-Clair s'avancer vers moi à grands pas et la mine passablement effarée.
- Monseigneur, dit Saint-Clair, Monsieur le duc de Guise demande l'entrant de notre ch‚telet d'entrée. Il désire vous entretenir.
Je me levai, béant.
- Guise ! Comment sais-tu que le quidam est bien le duc de Guise ?
367
tout.
- Aux armoiries sur sa carrosse.
- Est-il accompagné ?
- Assez peu pour un duc : une dizaine de cavaliers en
- Et quelle mine ont-ils ?
- De jolis muguets de cour, si blonds, si roses, que vos Suisses, le cas échéant, n'en feraient qu'une bouchée.
- Tu oublies que j'ai laissé la moitié de mes Suisses àParis pour garder l'hôtel des Bourbons et ma femme.
- L'autre moitié serait suffisante pour mettre nos galants à vaudéroute s'ils nous cherchaient noise. Mais ils n'en ont guère envie.
- Préviens néanmoins Hôrner d'avoir à armer nos Suisses et à les former en haie d'honneur devant le perron, laquelle haie pourrait se muer, le cas échéant, en ligne d'attaque.
Pour.moi, je me ceinturai de mon épée, me coiffai de mon plus beau chapeau à plumes, et allai attendre mon hôte en haut du perron, fort ébahi par cette visite inopinée. J'ai si souvent rafraîchi la mémoire du lecteur sur ma naissance qu'il serait bien oublieux de ne point se ramentevoir que j'étais le fruit des amours secrètes (mais quel secret ? en est-il un à la Cour de France ?) de Madame la duchesse douairière de Guise et de mon père, le marquis de Siorac. L'actuel duc de Guise est donc mon demi-frère, au même titre que la princesse de Conti. Mais alors que mes rapports avec la princesse, du fait qu'elle est une femme, sont adoucis par
Weitere Kostenlose Bücher