Complots et cabales
le bec àbec avec votre belle lectrice !
- Je ne l'exclus pas. Je ne voudrais pas la voir, elle aussi, verser des larmes. Cependant, lecteur, accordez-moi que je m'adresse souvent à vous.
- Oui-da ! Mais par de brefs clins d'yeux d'homme àhomme, jamais pour des questions importantes.
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- Lecteur, remplaçant la belle lectrice, vous jouirez de tous les privilèges attachés au bec à bec, questions comprises.
- Fort bien donc. Je vous ois.
- Lecteur, de prime, sachez bien qu'un duc condamné àmort jouit même alors de quelques privilèges octroyés par le roi. L'usage à Toulouse est d'exécuter le condamné deux heures après la sentence. On octroya à
Montmorency un jour entier pour se mettre en paix avec sa conscience. Il reçut la permission d'écrire des lettres et il en écrivit trois. Mais pour des raisons que j'ignore, le roi ne laissa passer qu'une seule, celle adressée à Madame son épouse. Secundo, l'exécution, selon la sentence, devait avoir lieu publiquement sur la place du Salin. Le roi ordonna qu'elle se ferait hors de la vue du populaire, à l'intérieur du Capitole, dans la cour, et que personne n'y assisterait, sauf le prévôt et ses archers, les officiers de la ville et leur capitaine, les capitouls, et je le cite en dernier, bien qu'il ne soit pas le moindre, le nonce Bagni, que j'accompagnais en qualité de truchement, et qui était là pour donner au pape une description véridique de l'exécution. La raison en était que les folliculaires à la solde de Gaston n'allaient pas faillir à déverser sur l'événement un monceau de fallaces et de perfidies que le roi voulait d'avance démentir.
e En fait, Louis accorda à Montmorency toutes les gr‚ces qu'il p˚t, y compris celle de ne pas être touché par le bourreau.
- Et pourquoi cela ?
- Parce que le bourreau, lecteur, étant considéré comme un personnage inf
‚me, le seul fait d'être touché par lui était déshonorant. Voici une autre particularité que je te voudrais signaler: sans qu'on l'e˚t voulu le moindrement du monde, le fait d'avoir le cou tranché à Toulouse était dans le malheur une sorte de privilège, car le procédé qu'on y utilisait par la mise à mort était si s˚r qu'il excluait la possibilité que le bourreau manqu‚t son premier coup de hache, tant est qu'au grand dol et souffrance du supplicié, le bourreau
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devait alors recommencer à le frapper deux ou trois fois pour arriver à ses fins. C'est ce qui s'était passé, à la grande horreur des assistants, pour le pauvre maréchal de Marillac quelques mois plus tôt.
" ¿ Toulouse, les deux rebords extérieurs de la hache sont insérés dans les rainures pratiquées dans deux longs montants de bois maintenus à la verticale 1. La tête du condamné ayant été placée sur le billot entre ces deux montants de bois, le bourreau n'a qu'à enlever la clavette qui, une toise plus haut, maintient la hache et celle-ci coulisse alors entre les deux montants de bois avec la vitesse de l'éclair, et sa vitesse, ajoutée à
son poids, lui donne une telle force qu'elle sépare d'un seul coup la tête du tronc.
" Le coeur me battit quand accompagné par son confesseur je vis Montmorency paraître, dans la cour du Capitole, un crucifix à la main, et vêtu de son habit d'exécution, tout de toile blanche. Ayant passé la grande porte du Capitole, il s'arrêta et regarda derrière lui la statue d'Henri IV qui la surmontait.
" - que regardez-vous, Monseigneur ? dit alors le prêtre.
" - L'effigie de ce grand monarque dont j'ai eu l'honneur d'être le filleul. je me souviens de lui comme d'un prince très bon et très généreux.
"…tait-ce là une critique voilée de la rigueur pratiquée àson propre égard par le fils de ce grand monarque? je l'ignore. Mais si tel est le cas, Montmorency oubliait que la bonté d'Henri IV ne l'avait pas retenu de condamner à mort un de ses meilleurs lieutenants, le maréchal de Biron, coupable, lui aussi, de haute trahison.
" Montmorency monta d'un pas alerte les marches de l'échafaud, et se trouvant face à face avec le bourreau, il lui demanda de ne le point toucher. ¿ quoi le bourreau répondit avec beaucoup de respect qu'il le devait pourtant, ses
1. L'invention tristement fameuse du docteur Guillotin n'était donc pas si nouvelle. (Note de l'auteur.)
cheveux étant trop longs pour la hache. Montmorency, alors, le laissa faire sa coupe, il se banda lui-même les yeux, mais il eut des difficultés
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