Complots et cabales
appétit pour le sexe fort, je lui fis aussitôt servir du vin et des friandises de gueule, qu'elle gloutit avec une joyeuseté qui faisait plaisir à voir.
- M'amie, dis-je à la parfin, que fais-tu céans ?
- Monseigneur, je suis chambrière de la duchesse de Chevreuse, et comme elle est intime avec la reine...
- Intime ?
- Intimissime. Elle la suit partout o˘ elle va, et c'est ainsi que nous f˚mes à Brouage avec le cardinal, et sommes de retour à Bordeaux. Pour moi, je suis furieuse contre les Bordelais...
- .Et pourquoi donc ? Ce sont fort bonnes gens, honnêtes et laborieux.
- Il se peut, Monseigneur, mais moi, je les trouve froids comme des concombres. je recherche par toute la ville le chanoine Fogacer, et de partout je me fais repousser avec horreur par les Bordelais.
- M'amie, dis-je avec un sourire, ce doit être l'effet que leur font ton décolleté, ton pimplochement, la brièveté de ton cotillon, et l'ondulation de tes hanches.
- Ah pour cela! cria-t-elle comme indignée, mon cul fait ce qu'il veut! je n'y peux rien ! Vais-je me contraindre à marcher comme un homme, alors que femme je suis ?
- Et pourquoi veux-tu encontrer le chanoine Fogacer ?
- Vous savez bien pourquoi, dit-elle d'un air entendu.
- Oui, je t'entends, mais là o˘ il gîte on ne te laissera pas entrer.
- Et o˘ gîte-t-il ?
- ¿ l'évêché.
- Diantre ! s'écria-t-elle, levant au ciel ses bras potelés. De pis en pis!
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- De gr‚ce, m'amie, n'invoque pas le diable quand tu parles de l'évêché !
- C'est que le diable y a peut-être ses petites entrées, comme dans le ch
‚teau du cardinal de Guise votre cousin...
- M'amie, ceci nous égare. Revenons à nos moutons. Monsieur le chanoine Fogacer prend céans ce jour d'hui sa repue de midi. Ajouterai-je une assiette pour toi ?
- Avec joie, Monseigneur.
Comme elle achevait, Nicolas, après avoir longuement toqué à l'huis, mais faiblement de peur de nous déranger dans notre entretien, jeta à la Zocoli, à son entrant, un regard à la fois subreptice et friand et me dit
- Monseigneur, Monsieur de La Rousselle derechef est céans. Il demande si vous connaissez Monsieur le maréchal de Schomberg qui, comme vous, loge chez lui en ces lieux. Si oui, il pense que vous aimeriez peut-être l'aller visiter sur l'heure. Il est on ne peut plus mal...
Tout alarmé, j'y courus et je trouvai mon pauvre ami étendu sur sa couche, p‚le comme la mort, et luttant pour son souffle, les yeux clos. quand je lui pris la main, il ouvrit à demi les paupières, les referma, et parut vouloir parler, mais il ne le put. Son souffle devint de plus en plus rauque, et quelques minutes plus tard, il expira. Tous ceux qui étaient là
se mirent à genoux, souvent avec des larmes qu'on n'e˚t pas attendues chez de vieux officiers, et commencèrent à prier à voix haute à l'unisson.
Chez tous, la stupéfaction s'ajoutait au chagrin, tant Schomberg nous paraissait b‚ti à chaux et sable, si plein de réserves de forces qu'il ne les pourrait épuiser jamais, sans jamais p‚tir en campagne des maux dont souffraient la plupart d'entre nous : catarrhe, mal de gorge, courbature, dérèglement du gaster ou des entrailles; un homme enfin, dans toutes ses parties, si favorisé des Dieux, qu'il paraissait indestructible.
Fogacer me dit à l'oreille qu'il s'était levé à la pique du jour, qu'il avait vaqué à ses t‚ches coutumières, pris gaiement sa repue de midi, et tout soudain, comme il se levait de
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table, il s'était écroulé à terre, p‚le, sans voix, ayant de grandes difficultés à reprendre son souffle. "
On me prévint, ajouta-t-il, j'accourus, mais il mourait déjà, et faute de le pouvoir confesser, je lui administrai l'extrême-onction... De reste, qu'aurait pu me confesser cet homme qui, en notre monde dévergogné, brillait de toutes les vertus ?... "
Ayant achevé son récit, Fogacer, me voyant chancelant, sans voix et comme hors de mes sens, me bailla une forte brassée, et m'aida à me mettre à
genoux, en quoi il fit bien, car mes jambes ne me portaient plus. Une fois à genoux et mon torse reposant sur le côté de la couche o˘ gisait mon pauvre Schomberg, terrassé comme un Hercule en bronze tombé de son socle, je me sentis mieux, mais bien que je fusse infiniment triste, dépit et chagrineux, je ne pus verser une seule larme. Et quand je voulus prier, l'angoisse de voir départir de cette terre le compagnon que, hors mon père, j'admirais le plus
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