Complots et cabales
intentions. Mais comme eux non plus ne pouvaient ignorer qu'une très forte armée française campait à Oulx, je me demandais s'ils aimaient tant leur duc pour nous recevoir si bien.
¿ eux aussi, je fis quelques cadeaux, et cette attention me valut de leur part beaucoup de gratitude. Je leur prêtai aussi mon charron pour réparer l'unique charrette du village, dont un essieu était cassé depuis des mois sans qu'ils eussent pu, ou su, le réparer.
J'étais maintenant fort impatient d'atteindre mon but et le lendemain, à la pique du jour, je levai le camp afin de parve-84
nir à Suse aux meilleures heures des brefs jours hivernaux. Pendant que Nicolas m'équipait, un villageois de Chiomonte me vint trouver; il me dit se nommer Filiberto et me pria, avec je ne sais combien de bonnetades, de l'emmener avec lui à Suse o˘ demeurait un de ses parents, pour y démêler une affaire qu'il m'expliqua par le menu, sans que j'y entendisse goutte, tant sa logique n'était pas de celles qu'on nous apprend en nos collèges.
Filiberto était petit, noueux, le visage tanné, et il avait tant de cheveux plantés très bas sur le front, tant de barbe sur les joues et le cou, et tant de sourcils broussailleux et de poils saillant du nez et des oreilles, qu'on voyait peu d'endroits en son visage qui fussent lisses. L'oeil, cependant, ne faillait pas en finesse, et il était parfaitement poli et me fit mille mercis quand je lui permis de prendre place à côté du cocher de ma carrosse.
Il s'avéra du reste utile en cours de route : quand je lui demandai quel était, entre Chiomonte et Suse, le meilleur lieu pour s'arrêter et manger un morcel, il répondit tout àtrac : " L'endroit le plus beau, dit Filiberto avec un air de profonde sagesse, c'est o˘ le Rio Clarea se fout dans la Dora Riparia. " Il dit: " se fout
> et non : " se jette ", ce qui m'ébaudit, de prime, mais qui, au fond, s'avéra, quand je vis la confluence des deux rivières, laquelle était, en effet, fort tumultueuse, avec violents remous, blanches écumes et grondements sourds.
…tant né et ayant grandi dans le plat pays, je trouvai, maugré la froidure pour moi quasi insufférable, une grande beauté à ces hautes montagnes, à
ces neiges infinies, à ces sombres forêts de sapins et à ces rivières alpines si limpides et si précipiteuses. Ma fé ! me dis-je, comme j'aimerais revenir céans en été, et cette fois avec Catherine ! Eh oui, belle lectrice ! voilà à quoi et à qui je rêvais, l'oeil perdu dans les eaux de la Dora Riparia, au lieu de penser à ma mission, comme j'eusse d˚.
Mais à partir du moment o˘ le Rio Clarea se " fout " dans la Dora Riparia, celle-ci, qui jusque-là coulait dans la direc-85
tion du nord-est, infléchit sa course dans la direction de l'est, tandis que sa rive gauche, jusque-là si altière, descend au niveau de la rive droite, c'est-à-dire, d'après ce que j'en croyais à vue de nez, à quatre cents toises environ, et parvient enfin à Suse o˘ elle pénètre par une arche de pierre pratiquée dans les murailles, laquelle, à ce que je suppose, est doublée intra muros par une forte grille pour empêcher les intrusions. Mais qui voudrait en hiver s'introduire dans la ville en nageant dans ces eaux glacées ? Et, à la parfin, je vis, des yeux que voilà, les fameuses barricades. Elles étaient construites sur la route entre la rivière à senestre et la montagnette, laquelle descendait vers elles par une pente abrupte.
Si vous deviez escalader la montagnette de droite, vous verriez au sommet, de l'autre côté du versant, vers le sud, une région de monts et vallons de faible altitude, peuplée de villages. On appelle cette région le " Gravere
>, et j'ai toutes les raisons du monde de me ramentevoir cette région, et, plaise à toi, lecteur, de graver ce Gravere en ta remembrance, car il est pour jouer un rôle de grande conséquence dans la suite de ce récit.
Arrivé à une trentaine de toises des trois barricades qui défendaient l'entrée de Suse, je fis arrêter ma carrosse et montai mon Accla, me voulant présenter de façon noble et cavalière, f˚t-ce seulement aux soldats, dont on voyait paraître, au-dessus de la première barricade, les visages nous dévisageant, mais sans aucun mousquet. Il est vrai que rien ne ressemblait moins à une attaque que notre avance, laquelle était lente et majestueuse.
En tête venait, monté sur un grand cheval blanc, le hérault, lequel, comme il convient au
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