Complots et cabales
dire ou plutôt à redire, sauf que Monsieur de Marillac départi, et Madame s'allant coucher, je pus enfin me lever de ma cachette.
Je remerciai la Zocoli et lui voulus bailler un écu pour sa belle r‚telée, mais elle le refusa avec dignité, me disant qu'elle n'avait qu'un maître, et que c'était lui qui la payait. J'hésitai à lui donner au départir, comme j'en avais envie tant j'étais content d'elle, une affectueuse brassée, mais réfléchissant qu'affectueuse, ladite brassée ne le serait pas longtemps avec elle, je préférai la remettre aux mains de Monsieur de Guron, et le coeur allégé, je regagnai ma chambre. Et là, au lieu de m'ensommeiller tout de gob, je jetai de prime sur le papier tout ce que la reine-mère avait dit afin de le pouvoir répéter le lendemain au cardinal mot pour mot.
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Je me sentais fort las après cette journée o˘ s'étaient passées tant de choses. Mais m'étant moi-même dévêtu -l'heure étant si tardive que je noulus réveiller mon valet - je tirai autour de moi les courtines de mon baldaquin, je me couchai sans tant languir et j'attendis mon sommeil, mais il ne vint pas. Au lieu de cela, je pensai longuement à Marillac.
Il me semble, lecteur, que je vous ai déjà touché un mot du genre de réflexion qu'il m'inspirait. Mais quel que f˚t ce mot, le voici, plus complet, je crois, et plus fouillé, qu'une simple remarque en passant.
Marillac n'était point, certes, niais et simplet comme le pauvre Bérulle, qui à force de s'adresser à Dieu en était venu à penser que Dieu lui faisait, en retour, des confidences et des prédictions. Comme le lecteur s'en ramentoit, il s'en était autorisé pour écrire àRichelieu que ce n'était pas la peine de construire la digue, que les murailles de La Rochelle tomberaient d'ellesmêmes: il en avait eu la révélation.
Monsieur de Marillac, lui, avait beaucoup d'esprit, il était fort laborieux, il remplissait à merveille sa charge de garde des sceaux, et il avait eu le mérite d'établir ce fameux Code Michau qui mettait de l'ordre dans les ordonnances royales.
On pouvait certes entendre qu'étant grand dévot, et désirant avant tout l'éradication par le fer et le feu de l'hérésie huguenote, il p˚t prôner l'alliance espagnole, maugré les dangers qu'elle présentait pour la France.
On pouvait même, à la rigueur, entendre que, pour réaliser cette politique, il pens‚t que nul autre que lui-même n'y suffirait, et qu'il faudrait que Richelieu dispar˚t pour qu'il p˚t prendre sa place. Mais c'est là, à cet instant de mon discours, que le b‚t me blesse.
Sur quoi et sur qui Monsieur de Marillac pouvait s'appuyer pour réaliser ce dessein ? Sur le roi ? Mais Louis qui adorait son père était viscéralement anti-espagnol. Il n'ignorait pas que ce père tant aimé avait été assassiné, coÔncidence peu fortuite, au moment o˘ il se préparait à engager une guerre sans merci avec l'Espagne. Louis savait aussi que ce même père avait rejeté
pour son dauphin la proposition
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d'un mariage espagnol, proposition que sa mère, dès qu'elle fut veuve, avait, à son grand dol, remis sur pied. Et bien qu'il y e˚t d'autres raisons pour ne parvenir point, de prime, à"
parfaire son mariage " avec Anne d'Autriche, le fait qu'elle f˚t Espagnole n'ajoutait pas à son ardeur. La preuve en est qu'il renvoya, non sans brusquerie, de l'autre côté de la Bidassoa, les turbulentes dames de compagnie qui s'en étaient venues en France avec Anne d'Autriche. Et à mon sentiment il l'aurait bien renvoyée elle-même, s'il l'avait pu.
Monsieur de Marillac pouvait-il alors s'appuyer sur la reine-mère pour amener Louis à accepter l'alliance espagnole ? S'il a vraiment cru cela, c'est la pire bévue que cet homme d'esprit ait jamais faite. Il y avait belle heurette qu'il n'y avait plus d'autre sentiment entre le roi et la reine-mère que la considération imposée par le protocole. Je l'ai dit mille fois et pardonne-moi, lecteur, de le redire encore, désaimé, humilié par Marie de Médicis en ses enfances, non seulement il ne l'aimait point, mais il la respectait moins encore, ayant la plus pauvre opinion de son entendement et de son caractère. Il abhorrait ses partis pris obtus, ses furieux entêtements, ses colères escalabreuses et, plus que tout, les vulgarités de son langage.
Or, s'il y a une chose au monde que Louis de tout coeur détestait, c'était qu'on se laiss‚t aller en sa présence à des querelles,
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