Complots et cabales
mécaniques.
- Et quelles questions la reine-mère posa-t-elle à ce coquart d'enfer ?
- Ah, mon ami ! dit Fogacer. C'est là que le b‚t commence furieusement à
blesser, tant étranges et déquiétantes furent ces questions-là...
- Et les réponses ?
- Les réponses ? Prudentissimes. Le Censuré n'est pas un enfantelet dont on beurre le pain en tartines. Il est retors, et ne tient pas outre mesure à
jeter un jour par un noeud coulant son dernier regard vers le ciel.
Première question de la reine-mère : quel est l'avenir du cardinal ?
- Diantre !
- Réponse du Censuré : pour l'instant fort bon, mais il se pourrait qu'il change.
- Ce qui se pourrait dire tout aussi bien de vous, de moi ou même de la reine-mère.
- En effet. Deuxième question: le cardinal possède-t-il des charmes pour se faire aimer ?
- En tout cas, dis-je, pas du gentil sesso.
- Mon cher ami, celui dont le cardinal se fait aimer, se peut par des "
sortilèges diaboliques ", est assurément le 224
roi... La reine-mère n'entendant rien aux grandes affaires, n'entend pas davantage les grands services que Richelieu a rendus à Louis, ni en contrepartie l'attachement du roi pour K le meilleur serviteur qu'il e˚t jamais ". D'o˘ les " charmes et sortilèges", évidemment diaboliques, qui, aux yeux de la reine-mère, expliquent l'inexplicable.
- Et quelle fut la réponse du Censuré ?
- Fort astucieuse. " Il se peut, dit-il, que celui que désigne Votre Majesté possède des sortilèges, mais on ne peut les acertainer, parce qu'il les cache sous des qualités apparentes.
- Les qualités apparentes ! quel habile homme! Je suis raffolé des qualités apparentes...
- Troisième question. Et là, mon cher ami, nous sortons de la comédie pour entrer en plein dans le drame. Voici cette troisième question qui jette un jour sinistre sur cette consultation : Richelieu possède-t-il des charmes pour échapper aux arquebusades ?
- Dieu bon! Mais c'est abject! Pense-t-elle vraiment àun assassinat ?
- J'en ai peur, et le Censuré le craignit aussi, car il feignit de ne pas entendre le sens de la question. " Si le cardinal, dit-il, s'expose en Italie ès lieux périlleux, tous les charmes du monde ne sauraient l'empêcher d'être arquebusé. "
- Excellente réponse !
- Je le crois aussi, et je poursuis. quatrième et dernière question de la reine-mère, et de toutes la plus déquiétante. La voici: voyez-vous dans l'avenir que le cardinal puisse être un jour blessé par un coup de hallebarde ?
- Révérend chanoine, cette fois la chose est claire. L'instrument de la meurtrerie étant une arme blanche, la reinemère envisage une embuscade rapprochée. Et que répondit le Censuré ?
- Ceci: " Votre Majesté voudra bien m'excuser, mais ma voyance ne voit pas au-delà des cinq années futures et en deçà de ces cinq années, je ne discerne pas le moindre coup de hallebarde à la personne que vous dites. "
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- …merveillable Censuré ! m'écriai-je. Je lui souhaite, loin des geôles et des gibets, longue vie et prospère voyance !
je ne me ramentois aucune des étapes de Paris à Lyon, tant je me tracassais les mérangeoises au sujet du cardinal. Outre que la reine-mère était une Médicis et que les Médicis, comme l'Histoire l'atteste, sont race assassinante, il me semblait que la crédulité de la reine-mère, son peu de bon sens, et la fureur qu'elle mettait à l'assouvissement de ses rancunes la pouvaient, en effet, pousser à des entreprises qui, en cas de succès comme en cas d'échec, ne pourraient que lui valoir un exil éternel. Par malheur, elle était si obtuse et en même temps si emportée en ses ressentiments, que je suis bien certain qu'elle n'avait même pas perçu les réticences du Censuré à ses périlleuses questions.
Dès que nous atteignîmes Lyon - ville que j'aime entre toutes pour ses deux fleuves et sa presqu'île - je confiai à Fogacer le soin de prendre langue avec les officiers du cantonnement afin de quérir d'eux un logis, et je gagnai en grande h‚te le palais de l'archevêché o˘ je savais que le roi logeait.
¿ l'exception de Beringhen et du Révérend docteur médecin Bouvard, il n'y avait assurément, sur l'ordre de Sa Majesté, personne auprès d'Elle. Déjà
en vêtements de nuit, allongé à demi sous son baldaquin, et le dos soutenu par de grands oreillers, Sa Majesté tenait fermement entre ses cuisses une large et profonde écuelle de soupe épaisse, fumante et odorante dont il
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